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𝓐imé










            — Un problème ?

            — Du moment que tu ne t'approches pas, il n'y en a aucun, répond-il avec médisance.

            Il l'affirme comme si c'était une fatalité. Sauf qu'il est évident que quelque chose dans mon physique l'abhorre davantage que ma simple intrusion. Son regard ne s'éternise pas plus de quelques secondes sur moi. Il suffirait que j'effleure son bras du bout des doigts pour qu'il se recourbe sur lui-même, pris d'un haut-le-cœur. Mais pourquoi ? Je ne cherche pas à en savoir plus, le cri de désarroi de la courtisane me contraint à renoncer à toute forme de bon sens. Cet homme s'adonne à la débauche sans s'alarmer de la présence d'un inconnu à ses côtés. Et je n'ai pas pour habitude de faire l'impasse sur tout acte inexorable, quel qu'il soit.

            — Si t'as besoin d'assouvir des penchants masochistes, les bordels existent, chéri.

            — Je ne suis pas désespéré à ce point-là, crache-t-il, le torse désormais orienté vers moi.

            — Ce n'est pas l'impression que ça donne.
             Je jauge le faciès de l'hétaïre appuyée contre le mur, tordue par la détresse. Ne se rend-il pas compte que ses actes entravent la santé mentale d'autrui ? Ce n'est qu'à l'instant où mon corps se fait trop imposant entre lui et sa victime qu'il daigne s'importuner. La poitrine comprimée par l'angoisse de ne pas pouvoir me défendre, ma mâchoire se crispe lorsqu'il fait un pas dans ma direction, son nez entrant en collision avec le mien.

            —  Je t'ai dit de ne pas t'approcher, n'est-ce pas ?

            Son souffle s'échoue sur mon menton, exposant mon infériorité. Seulement, refusant de m'y plier, je ne recule pas. De la même manière que je n'arrive jamais à estimer mes limites avant de les dépasser. D'une œillade indolente je fais comprendre à la femme de tirer profit de ma distraction pour prendre la fuite, sauf qu'elle n'en fait rien. Elle reste statique contre le mur, à la fois paralysée par la peur, et retenue contre son gré par ma faute. Il est évident qu'elle culpabilise, mais du fait de demeurer à mes côtés ne résulterait que notre mort simultanée. Autrement dit, aucun intérêt.

            Du revers de la main, l'individu face à moi fait valser mon visage d'un coup brusque.

            Qu'est-ce qu'ils ont tous à me gifler ?

            Mon intention n'est pas de rudoyer qui que ce soit, mais je me sens contraint de bousculer la blonde d'une épaule si elle souhaite survivre. Elle secoue sa tête avec vivacité, résignée à rester proche, ce qui m'arrache un râle de dépit. Tandis que je m'efforce de prendre sur moi, mon crâne s'écrase par surprise contre le marbre du mur, poussé par la paume de l'intendant. Il exerce une pression continue sur mon visage déjà tuméfié, sans se préoccuper de l'état de ma cicatrice, tiraillée contre la surface granuleuse.

            Un goût de rouille se mêle à ma salive. Je prends conscience de mon insuffisance dès lors que l'espace se met à voguer en symbiose avec mes battements de cœur. Je sors de ma torpeur quelques secondes après, les genoux flageolants, réalisant qu'il me sera impossible de venir en aide à une personne dont l'impuissance fait concurrence à la mienne. Si elle ne peut se sauver par elle-même et que j'en suis aussi incapable, je ne peux que faire appel à quelqu'un d'autre.

            La chambre de mon père se situe dans le couloir principal de la haute cour, entourée par celles des individus les plus importants. Des individus dont le devoir est d'accepter un logement et une pension sans restriction, et dont l'égo surpasse l'entendement. Cependant je ne m'en préoccupe pas, tandis que mon poing s'évertue à marteler la première porte que j'aperçois. Aucune réponse. C'est à se demander ce que font les nobles de leur journée, si le combat est réservé aux soldats et que leur appartement demeure désert jusqu'à la tombée de la nuit. Le regard rivé sur le désarroi de la courtisane, j'implore de l'aide du bout des doigts sur la troisième porte longeant le mur de gauche. Le silence que j'obtiens en retour me désespère.

Le Chaos Naquit Après [Tomes 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant