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𝓐imé



Mon cœur s'est broyé sous ma peau.

Il a littéralement éclaté, je l'ai senti se fissurer, et malgré ça, je suis censé rejoindre Sohane dans la salle du conseil comme si je ne marchais pas avec un trou béant dans la poitrine. Si les chambellans étaient éveillés, ils dévisageraient mon torse et la traînée de sang qui s'en déverse. Suis-je le seul à avoir l'impression que toute cette situation est dépourvue de sens ? Qu'il n'y a pas la moindre personne qui soit foutue de me dire que je nage en plein cauchemar ? Comment son retour peut-il être plus douloureux que son départ ?

Comment ?

J'ai beau frapper mon front encore et encore, il n'y a rien qui m'empêche de réfléchir. Mes pensées se coupent la parole.

Sohane est en vie.

Sohane. Est. En. Vie.

Il est là, dans l'enceinte du château, debout sur ses deux jambes... et il me déteste.

Son cadavre ne repose pas dans la tombe que je n'ai presque jamais eu le courage de visiter.

Il me déteste.

Il est en vie depuis tout ce temps ?

N'est-ce pas ce que j'ai toujours espéré ?

Pourquoi j'ai l'impression que c'est encore pire que le croire mort ?

Parce qu'il ne m'aime plus.

— Aimé, ça suffit, me reprend Arsën. Ouvre ces portes, lève la tête et prétend.

— Je prétends tous les jours, mais là c'est impossible. Sohane est derrière ces portes, Arsën. Sohane !

La panique s'empare de mon corps, je suis sur le point d'étouffer.

— Non, c'est hors de question que tu me fasses une crise d'angoisse ici et maintenant. Je te demande, pour une fois dans ta vie, de m'écouter.

J'obtempère, ou plutôt, je tente de coopérer, de ne pas me laisser abattre par la douleur, mais elle se transforme et je ne sais pas comment gérer sa nouvelle apparence. Ce n'est plus un deuil, c'est une souffrance immuable qui creuse ma gorge dès que je me dis que ça ira mieux.

Ça ira mieux.

Parce qu'il est en vie, parce qu'il est de retour. Le problème, c'est qu'avant lui, mon bonheur ne dépendait que de moi, et puis il est apparu et a fait de moi un pantin dont il contrôlait tout, dont il contrôle tout. Demander à ce que ça aille mieux équivaut à prier pour qu'il disparaisse de ma vie, alors qu'il n'y est déjà plus. Enfin, il y est, mais plus comme avant.

On partage des souvenirs communs, et ils vivront toujours dans nos têtes, à défaut de se reproduire un jour.

Ce ne sont que des souvenirs.

Des souvenirs qui n'auront plus jamais lieu d'être.

Je souffrais de sa mort en sachant que je n'aurais plus l'occasion de rire avec lui, de l'aimer à cœur ouvert. Mais n'est-ce pas d'autant plus destructeur d'avoir conscience que c'est toujours impossible, même s'il se trouve en face de moi ?

Sans relever la tête, je réalise que les portes sont ouvertes lorsqu'un reflet de lumière éclaire mes chaussures. Plus rien ne me préserve du regard des membres de la cour, ni du sien. Je joue avec le bouton de la chemise que j'ai tout juste eu le temps d'enfiler, avant d'être interpellé par Rufus.

Le Chaos Naquit Après [Tomes 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant