𝓐imé
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J'admets qu'il m'arrive d'être présomptueux, même quand rien ne m'est favorable. Je consens que proclamer mes aptitudes de combat inexistantes, au fils du roi, n'était pas la meilleure des idées. Et, il est vrai que j'aurais dû y réfléchir à deux fois avant de le provoquer, surtout pour en résulter une humiliation désolante. Toutefois, j'avais besoin d'appréhender sa manière de procéder face à l'ennemi, ou du moins, savoir à quoi m'attendre. Toujours est-il qu'une part de moi s'est majoritairement engagée dans ce duel pour taire son insolence. Il est devenu évident qu'il se sent inégalé par tout ce qui l'entoure, et qu'il souffre de sa soi-disant mésestimation. Néanmoins, un tel amour-propre m'est insupportable.
À la rigueur, j'aurais pu me contenter de l'analyser de loin et le démunir par la parole. Or, me noyer dans un bourbier où je peine déjà à nager m'a paru être la solution la plus adaptée.
— Marque tes appuis, rappelle mon père.
— C'est la troisième fois que tu le répètes.
— Et c'est la troisième fois que tu me donnes une raison de le faire.
Les jambes écartées d'une largeur d'épaule, j'avance avec appréhension jusqu'à ce que mon avant-bras heurte la lance de bois maniée par mon père. Mes mouvements succèdent avec maladresse ses attaques. Il ne semble même pas réfléchir, ses enchaînements sont fluides et si précipités que j'en tombe à la renverse. La moindre tentative d'offensive est vaine, comme s'il la sentait venir à la suite d'une simple inspiration. Le fait qu'il n'ait aucun effort à fournir pour me mettre en position de faiblesse est ahurissant.
— Tu me marches sur les pieds, gronde-t-il.
— Tu m'as bandé les yeux.
— Ressens ce qui t'entoure, au lieu de te plaindre.
Je soupire de frustration, les muscles contractés et courbaturés. Ça fait presque trois heures que mon père s'entête à m'inculquer l'art du combat, tel qu'il lui a été enseigné avant moi. Ce ne sont pas de simples actions interposées les unes avec les autres qui permettraient de survivre lors d'un combat, mais l'apprêt à sombrer dans une réflexion profonde, à la recherche de soi-même. En tout cas, c'est ce dont il est persuadé. Quoiqu'il en dise, l'ambition et la rancœur ne suffisent pas, il me manque les appétences. Je ne pourrai rien achever tant que je ne saurai pas ce que c'est de ressentir sa propre puissance au creux de ses mains. Entendre mon pouls tambouriner dans mes veines, et assouvir un besoin de vengeance chaque jour, comme s'il n'y avait pas de lendemain.
Mes ongles lacèrent la terre jusqu'à ce que la pression s'atténue. L'objectif est clair : pour parvenir à mes fins, je dois souffrir de nouveau, que ce soit à la guerre, ou à travers les autres moyens qui s'offriront à moi. L'issue ne vaut parfois pas la peine endurée, mais je me haïrais d'abandonner, pour la simple hypothèse que l'échec s'en résulte.
Si ce n'était pas pour ma mère, je ne pense pas que j'aurais eu la volonté d'accoupler la discipline à la détermination. Elle me manque, c'est incontestable, or il est primordial que je dissocie mes convictions de sa mort. J'ai interrogé mon père sur son niveau de préoccupation en ce qui concerne le cadavre de ma génitrice, son état et le lieu où il se décompose. Il m'a répondu : "Rien ne sert de se préoccuper de quelque chose qui appartient au passé. Apprends à vivre avec." D'après lui, mes frères y seraient parvenus, ils auraient mis les ordres de mon père à exécution dans la seconde. Sauf qu'eux, ont été éduqués avec ce que je n'ai jamais reçu : sa reconnaissance. J'ai conscience qu'il ne sert à rien de la désirer en vain, pourtant, encore aujourd'hui, l'enfant lésé en moi n'attend de sa part qu'un simple hochement de tête. Donc, je ne peux croire ses paroles sans en douter.
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Le Chaos Naquit Après [Tomes 1 & 2]
RomansaAlors qu'il croyait pouvoir fuir le palais royal jusqu'à sa mort, Aimé se voit contraint de s'y impliquer pour venger le meurtre de sa mère. Sa quête de rétribution se mêle à celle de Sohane, fils cadet du roi, l'obligeant à réprimer sa rivalité pou...