Je survis à chaque fois
Amandine Sepulchre
𝓐imé
❦
Sohane n'est pas aussi taciturne qu'il ne le laisse penser. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il est intéressant, mais son comportement s'avère être plus intriguant que prévu. Pourtant, malgré le soudain intérêt qu'il est parvenu à me soutirer, il n'en est pas moins détestable. Je commençais même à nous trouver des points communs, jusqu'à ce que mon père se présente à l'auberge en début de soirée.
C'est avec lui qu'il échange depuis plus d'une demi-heure.
— Doucement, tempère Erèbe lorsque j'écrase ma chopine trop fort contre le bois de la table.
Je dévisage mon connard de géniteur presser l'épaule de Sohane comme s'il n'y avait pas son propre fils dans la même salle.
— Je pensais que tu l'appréciais.
— Le prince ? m'exaspéré-je. Que celui qui en est capable me partage ses méthodes.
— Je préfère entendre ça. Il n'y a pas grand-chose de bon chez lui.
S'il fallait écouter le pays entier, il n'y aurait absolument rien de bon chez lui. Et je commence à m'éprendre de cette idée. Sûrement n'est-ce qu'une jalousie puérile qui entache mon état d'esprit, or, il m'est impossible de faire autrement pour le moment. Je jalouse la complicité qu'il a avec mon père. Je jalouse la facilité qu'il a d'attirer l'attention. Je jalouse l'aisance dont il fait preuve une épée en main. Mais avant tout, à l'heure actuelle, je jalouse le fait que recevoir des encouragements de mon père soit une évidence pour lui. C'est si grotesque.
— Tu n'as pas l'air d'être un mauvais gars Aimé, alors ne t'entoure pas des mauvaises personnes, ajoute Erèbe.
Si j'avais besoin d'un conseiller, je l'aurais précisé.
Sohane n'a jamais aligné plus de trois phrases d'affilée, alors comment peut-il débiter autant en si peu de temps ? Mon obsession doit tourner au ridicule de l'extérieur, cela-dit l'avis des autres ne m'a jamais importé. Je persiste à tuer du regard les deux personnes qui rayent mon existence de leur mémoire, dépourvus d'une quelconque trace de culpabilité.
— Tu penses qu'il l'encourage pour les futures épreuves, ou qu'il lui fait l'éloge de sa victoire passée ? demandé-je en désignant mon père du menton.
Erèbe s'intéresse alors à l'échange qui se déroule à quelques mètres de nous. Avec l'allure de deux commères, on décortique assidûment le moindre indice qui nous conduirait à ma réponse.
— Aucune idée, mais il semble plutôt convainquant.
Sur ces paroles il trinque avec moi sans que je ne m'y attende et finit sa boisson. J'en fais de même, tâchant d'étouffer cet arrière-goût de déception qui revient constamment en la présence de mon géniteur.
— Autant personne ne lui porte d'intérêt ici, mais lui, on dirait qu'il pourrait le suivre comme un clébard jusqu'à sa mort, déduit-il.
— On est bien d'accord.
Les flammes du feu de cheminée lèchent le corps de mon père. Je me demande s'il se souvient de mon existence, ou si – comme toutes ces dernières années – elle lui a échappé après deux jours d'absence. La réponse n'est pas compliquée à trouver, toutefois je m'affuble d'illusions, préférant la douleur du déni à celle de la vérité.
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Le Chaos Naquit Après [Tomes 1 & 2]
RomanceAlors qu'il croyait pouvoir fuir le palais royal jusqu'à sa mort, Aimé se voit contraint de s'y impliquer pour venger le meurtre de sa mère. Sa quête de rétribution se mêle à celle de Sohane, fils cadet du roi, l'obligeant à réprimer sa rivalité pou...