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𝓐imé










— Fais un vœu, m'ordonne Arsën. C'est la nuit la plus étoilée du mois de janvier.

Les étoiles ont été plus brillantes que d'habitude cette semaine, mais ce soir n'a rien à envier aux autres. Si j'avais quoique ce soit à espérer - et pour ça il faudrait que j'aie encore une once d'espoir - ce serait d'entendre Sohane me dire qu'il m'aime une dernière fois. Je me contenterais de regarder ses lèvres mouvoir dans un souffle inaudible qui caresserait mes clavicules, même si l'avoir face à moi sans pouvoir le toucher serait un supplice, je me satisferais d'entendre sa voix résonner dans mes tympans. Il n'a jamais rien demandé de plus que l'attention de quelqu'un, sans savoir qu'il monopolisait la mienne avant même que son nom ne devienne le point qui concluait chacune de mes phrases.

— C'est fait ? D'après la légende, tout vœu réalisé sous les Astres éternels de janvier s'exauce.

— La légende vient du même cinglé qui pense qu'une étoile est attribuée à chacun d'entre nous ?

— Les légendes ne découlent pas d'un homme, mais des générations passées, soupire-t-il. Et celle-ci, je l'ai juste entendue en traversant les couloirs. Tout le personnel en parle, il s'agirait d'un phénomène rare qui s'est produit pour la dernière fois il y a une dizaine d'années.

— Un soir en particulier ?

— Le soir de l'attaque, affirme-t-il comme s'il répétait les propos récoltés par autrui.

Le soir où une reine est morte, et où une autre a recouvré sa liberté. Sohane me parlait souvent des étoiles et lorsqu'il le faisait, je savais que ses yeux luisaient pour un amour inégalable qui ne l'avait jamais quitté, même après la mort de celle avec qui il le partageait. Je ne le savais pas encore à l'époque, mais j'aimais qu'il me transmette ce que sa mère lui avait enseigné. C'était si précieux pour lui que je me sentais spécial d'en être digne.

Depuis le balcon de ma chambre, mon lit défait et les morceaux de papier qui traînent au sol, sans jamais que l'envie de mettre de l'ordre ne me vienne, sont d'autant plus misérables. Cette pièce n'a jamais été aussi vide que depuis que j'espère le voir dedans. Arsën me dévisage, les bras croisés, tandis que je manque de tomber dans le vide à chaque seconde.

— Tu penses que ranger la bouteille m'empêche de sentir l'odeur ?

— Je pense que sentir l'odeur ne t'assure pas de la présence de la bouteille.

— Arrête de me prendre pour un con, Aimé. Ça fait deux ans que tu te comportes comme un ivrogne pour la mort d'un prince que tu as connu à peine dix mois.

Ça fait deux ans que je me comporte comme un ivrogne pour la mort d'un prince que j'ai connu à peine dix mois, parce que les couleurs ont perdu de leur éclat. Parce que les fleurs n'ont plus jamais éclos de la même manière, parce que les étoiles ont cessé de briller. Parce qu'être drôle a perdu de son intérêt depuis que je ne l'entends plus rire, parce que je ne retrouve le marron de ses yeux que dans ce qu'engouffre les flammes et que porter une couronne n'a pas le même attrait sans sa justesse d'esprit.

Les bras d'Arsën s'alignent contre son corps comme s'il s'empêchait de se jeter sur moi pour m'étrangler. Malgré sa patience quotidienne, il avance dans ma direction avec vivacité et arrache ma chemise. Le tissu en lambeau s'échoue sur le sol, pendant qu'une vague de frissons recouvre mon torse et me fait émerger. Arsën ne s'arrête pas là, il saisit la couronne que je fais tourner autour de mon poignet depuis le début de soirée et la projette par terre.

Le Chaos Naquit Après [Tomes 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant