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𝓢ohane



« Tu es entré, par hasard, dans une vie dont je n'étais pas fier, et de ce jour-là quelque chose a commencé de changer. J'ai mieux respiré, j'ai détesté moins de choses, j'ai admiré librement ce qui méritait de l'être.
Avant toi, hors de toi, je n'adhérais à rien. »
- Albert Camus



















La neige recouvre nos pieds d'un épais manteau blanc, elle étouffe jusqu'au moindre bruit. Des flocons ruissellent en silence depuis des heures, s'accumulant sur la couche immaculée qui s'étend à perte de vue. Assis tout seul sur cette même bûche esseulée, j'observe les sapins qui se dressent face à moi, les branches lourdes ornées de glace et de neige. Une brume épaisse s'installe autour de nous, tel un voile austère enveloppant tout sur son passage. La visibilité est réduite à quelques mètres insignifiants, et je peine à sentir mes doigts. Le froid est intense, l'air est sec et je crains que cette période ne s'avère être l'une des plus difficiles de ma vie.

            Aimé est bien le fils de son père. La dernière personne que j'ai vue manier un arc avec tant de précision n'était autre qu'Arès lui-même, même Iáson n'était pas aussi bon. Je ne l'avais jamais vu tenir un arc et pourtant, il n'a pas hésité une seconde avant de l'emprunter à Raven et d'encocher trois flèches à la fois.

            Il n'a pas cillé d'un millimètre en tirant sur la corde et chacune de ses flèches ont atteint leur cible. Pas une seule d'entre elles n'a dévié. Aimé est plus puissant encore que ce que je craignais.

            — Il va falloir que tu changes d'habitude, me réprimande celui-ci.

            Je relève la tête, découvrant un grand brun aux boucles ébènes dressé devant mes yeux. Je ne sais si je deviens faible ou si la température le réussit, mais ses pommettes rosées par le froid me procurent une bouffée de joie intense. Il lève son bras couvert de peaux de loups et dépose sa paume chaude sur mon crâne, attendri.

            — Je sais que tu as pour habitude d'être seul, mais reste avec moi, s'il te plaît.

            — En quel honneur devrais-je m'infliger plus de temps que nécessaire en ta compagnie ? le taquiné-je.

            Il frotte la fine couche de cheveux qui recouvre mon crâne en m'adressant un sourire. Ça me rassure de savoir que je n'ai plus à faire semblant de le détester et qu'il n'y croirait plus de toute façon.

            — Plus sérieusement, je n'aime pas te savoir seul dans le froid, sans qu'il n'y ait personne autour.

            — D'accord, accepté-je, touché qu'il s'inquiète pour moi.

            — Un Sohane docile ? s'estomaque-t-il.  La fin du monde est proche.

— C'est ça, fais le malin.

J'attends que le léger sourire qu'il a engendré sur mon visage disparaisse. Il n'est pas très loin quand je me penche en avant pour que mes lèvres effleurent son oreille.

— Tu sais, à Mahr, on dit qu'on naît en même temps qu'une étoile et qu'elle nous guide toute notre vie, attendant qu'on la rejoigne une fois mort.

Ses paupières s'écarquillent, il panique.

— Pourquoi tu me dis ça ?

— Je ne sais pas... pour que tu connaisses les légendes Mahr ?

            Il ôte le manteau en peau d'animal qui enrobe ses épaules et l'enroule autour des miennes. Sa peau est parcourue de frissons, mais il n'émet pas la moindre expression de désagrément ; il accepte son sort pour me laisser au chaud. Il me tend une main que je prends sans réfléchir, puis je le suis lorsqu'il m'incite à traverser la zone de vent pour atteindre la tente principale où sont attablés les soldats.

Le Chaos Naquit Après [Tomes 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant