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𝓢ohane

Je n'étais rien et voilà qu'aujourd'hui, je suis le gardien du sommeil de ses nuits
- Francis Cabrel


















Je suis écœuré. Écœuré que quoiqu'il advienne, on finisse toujours par faire ce qu'on veut de mon corps sans que je n'aie mon mot à dire. Jamais il n'a été convenu que Beth m'embrasse, encore moins devant une foule, encore moins devant... devant Aimé.

J'ai un vif mouvement de recul, et nos spectateurs se languissent du moindre détail dont ils pourront faire usage pour spéculer dans mon dos. Contraint de rester conciliant et d'alléger l'humiliation que je lui inflige, je me rapproche de Beth, et embrasse le dos de sa main.

Je profite que le reste des couples nous rejoignent au milieu de la salle pour déserter les lieux, le thorax tétanisé par l'anxiété. Aimé est apparu une fraction de secondes, les lèvres aussi humides et gonflées que s'il avait passé sa soirée à embrasser quelqu'un. Mais ses yeux étaient plus vitreux que jamais et son allure laissait à désirer. Il était saoul. Seulement, il a disparu aussi vite qu'il est apparu, et désormais, j'arpente les recoins de la pièce, à sa recherche. Chacun des invités que je croise ne manque pas de me faire sentir mal à l'aise. Ils jugent le moindre de mes faits et gestes, même lorsque leurs mains arpentent le corps de leurs partenaires sur la piste de danse. Ils sont en compagnie de la personne qu'ils aiment et me font culpabiliser de repousser celle pour qui... celle pour qui je n'ai aucun intérêt. J'aurais aimé les voir eux, au centre d'une foule à l'instar d'une bête de foire, devoir mener à bien leur mise en scène et prétendre aimer goûter les lèvres d'une inconnue.

— Sohane, m'interrompt Arès en posant une main sur mon épaule, alors que je commence à regarder dans tous les sens. Par là.

Je hoche la tête pour le remercier. Je ne veux pas savoir comment il a deviné que je cherchais son fils, ni s'il sait pourquoi.

— Il a beaucoup bu, empêche-le de faire n'importe quoi.

Je m'exécute et emprunte le couloir indiqué par l'archer de mon père. Celui-ci est plongé dans l'obscurité, mais je distingue tout de même la silhouette de mon second, avachie contre le mur, une jambe repliée contre son torse, l'autre étendue au sol. Il s'amuse avec une pierre qu'il a ramassée dans le jardin un peu plus tôt, et malgré l'obscurité, son regard ne pourrait tromper personne.

— Eh bien, j'en connais un qui tient l'alcool, ironisé-je.

L'embarras est un sentiment qui m'est familier, il n'y a pas une seule situation où j'ai l'impression de correspondre aux attentes. Même si je ne l'ai que rarement ressenti à l'égard d'Aimé, en cet instant, je ne sais comment me comporter. Toutefois, dès qu'il prend connaissance de ma présence, un sourire s'esquisse sur les lèvres.

Il a pleuré. Je le sais parce que non seulement ses yeux sont irrités, mais surtout, des larmes sèchent encore sur ses joues. Un sourire arbore ses lèvres. Cet homme ne s'autorise jamais à révéler son mal-être aux autres. Il compte encore prétendre qu'il va bien, malgré les traces apparentes qui longent ses pommettes, et l'état dans lequel il se trouve.

— Je l'admets, il y a des domaines où je suis plus compétent.

Je vois à peine ses yeux tant son faux sourire les masque. En silence, je m'assois à côté de lui, appliqué à ne pas lui dévoiler combien je suis nerveux. Mon index tapote mon genou, il calme mon anxiété, d'autant plus à l'instant où des dizaines de questions immergent mon esprit.

Pourquoi suis-je venu, déjà ? Avait-il besoin d'un moment à lui tout seul, et ma présence ne fait que l'embarrasser ? Et s'il n'osait pas me dire qu'il ne veut pas me voir pour ne pas me blesser ?

Le Chaos Naquit Après [Tomes 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant