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𝓐imé

























J'aurais dû arriver plus tôt, j'aurais dû remarquer que Kölen était toujours en vie. Toutefois, apercevoir Sohane debout, même au loin, m'a drainé de toute précaution. Je n'aurais jamais pensé qu'il puisse épargner un homme, lui qui m'avait toujours fait comprendre que la guerre ne laissait aucune seconde chance aux faibles.

Je n'ai même pas assassiné Kölen, je n'en ai pas eu le temps. Je l'ai poussé si fort qu'il est parti en courant, alors que je m'agenouillais auprès de Sohane.

Sa tête est ouverte et dégouline de sang. En même temps, il n'a pas simplement été attaqué, Kölen lui a écrasé de toutes ses forces un rocher sur l'arrière du crâne, tel un animal sauvage persécuté. Il a perdu connaissance sur le coup, et moi, je ne sais plus comment rester calme.

— Sohane, écoute-moi bien, si tu abandonnes maintenant... bafouillé-je, incapable de finir ma phrase, à bout de force.

J'ai ordonné à Raven de rejoindre l'auberge la plus proche, afin que quelqu'un prenne Tara en charge au plus vite. Je n'aurais jamais imaginé devoir la rejoindre avec Sohane, dans le même état.

À bout de force, je glisse mes bras sous ses cuisses et sa nuque afin de soutenir sa tête, serrant son corps contre le mien jusqu'à ce qu'il n'ait plus aucune chance de tomber. Traverser la forêt me prend la moitié de la nuit, mais pas une fois je ne m'assois. Pas une fois je ne m'écroule. Pas une fois je ne cesse d'avancer.

Parce que s'il y a bien une chose que je refuse ce soir, c'est de le perdre lui.

Ma vue se trouble à petit feu, me laissant inapte à discerner quoi que ce soit. Le seul élément distinct qui me permet de garder espoir, c'est la rangée de fleurs rougeâtres qui s'étend sur une centaine de mètres. Qu'il s'agisse d'un piège ou non, je n'ai plus la force de m'en méfier. Je prends ça pour une aide du ciel. Je suis à la trace la vague difforme de couleur sang qui s'écrase sous mes pieds.

Les branches griffent mon visage, bien que ce soit le cadet de mes soucis à l'heure actuelle. La crainte de ne jamais atteindre de refuge enfle dans mon estomac. Elle se lie à celle qui me chuchote que Sohane ne passera pas la nuit. C'est quand je constate que des gouttes s'échouent sur son haut, que je prends conscience des larmes qui glissent le long de mes joues. Et quand je mets enfin un pied sur une surface qui n'est pas de terre, j'éclate en sanglots.

J'ai beau clamer que je ne suis plus aussi faible qu'avant, Sohane a le pouvoir de me rendre aussi vulnérable qu'un enfant abandonné. Pressé contre mon torse, il n'est plus qu'un être entre la vie et la mort.

Je manque de tourner de l'œil.

Je sèche mes larmes avant d'entrer dans la première maison sur mon chemin. Peu importe que ce soit une auberge ou une cellule de prison. Je veux juste qu'on prenne soin de Sohane.

J'enfonce la porte d'une épaule et pénètre dans la demeure, ne craignant ni les propriétaires, ni les répercussions. Tout est tamisé, les quelques bougies encore allumées ne suffisent pas à éclairer la pièce principale. Mes pieds butent contre le moindre objet égaré au sol et je peine à accéder à une chambre.

— Tout va bien, murmuré-je à son oreille en le déposant sur le matelas de laine. Tu vas bien, Sohane.

Suis-je en train de le rassurer lui, ou moi ?

Ma poitrine explose lorsque la porte dans mon dos est percutée contre le mur. Un homme au gabarit imposant se présente dans l'encadrement et me fixe sans un bruit. Son calme me met mal à l'aise.

Le Chaos Naquit Après [Tomes 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant