Le Chaos Naquit Après [Tomes 1 & 2]

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𝓐imé

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— Ce n'est pas un lieu destiné à la procrastination.

Mes sens s'éveillent lentement, ce qui n'est pas le cas de mon organisme. J'entends ce qu'il se produit autour de moi, je devine à l'odeur de renfermé que je ne suis plus dans ma maison, mais il m'est impossible d'ouvrir les yeux. Tout ce que je peux faire, c'est demeurer allongé sur une toile tendue, aussi abrupte que le sol.

— Qui sont les nouveaux ? demande la voix terne qui m'a permis de reprendre connaissance.

— Des rescapés de l'attaque Vylnesienne, la garde royale n'a pas été alertée à temps. Six survivants, seuls deux d'entre eux pourraient reprendre un train de vie normal, d'après le médecin.

Ma gorge est brûlante. Les paupières fermées, je me redresse sur un coude afin de tousser du mieux que je le peux. Je parviens avec difficulté à me dégager du liquide rougeâtre qui encombrait mes poumons il y a encore quelques secondes, avant d'entrevoir des ombres au travers de mes cils.

Les souvenirs m'accablent, et supplantent le sentiment d'incertitude qui me rongeait déjà. Je viens de perdre ma mère, assassinée par le peuple que je pensais vouloir défendre. Je suis de ceux qui ont cru en un renouveau, en la possibilité de réconcilier deux peuples en conflit pour une histoire qui ne les concerne plus. Naïf au point d'espérer intégrer les terres du sud sans en payer les conséquences, parce que j'ai cru que les accusations portées à leur encontre étaient illégitimes. Il a fallu que je subisse les répercussions d'une trahison, pour que je ne sois plus victime de ma candeur et qu'elle se dissipe.

Cette guerre a débuté par un intendant qui s'est vu récompensé d'un fils, le jour où son roi a perdu le sien. Un dirigeant aiguillé par son peuple, et vouant une confiance aveugle à celui-ci, ne pouvait que finir désarmé par sa propre crédulité. Le roi Cyrice était consciencieux, sûrement trop. Il ne vivait que pour le bien-être des autres, au détriment du sien, mais avant tout pour celui de Mahr. Son meilleur ami, son serviteur, son bras droit.

Celui-ci n'était qu'un homme aveuglé par la jalousie. Envieux d'un destin glorieux qui ne lui était pas offert, et avide de pouvoir, au point de trancher la gorge d'un nouveau-né en accusant une courtisane hérétique d'en être responsable.

Sa frénésie l'a condamné à commettre un crime irrémissible. Peut-être a-t-il existé une période durant laquelle leur amitié n'aurait pu être davantage fusionnelle, mais leur écart d'autorité a éveillé de l'animosité. Mahr ne s'est pas simplement contenté de trahir son roi, ou de déchirer sa famille, il s'est aussi retrouvé à l'origine de l'émeute qui a divisé notre pays en deux. Des siècles nous séparent de cette histoire, ainsi qu'une frontière désormais établie au centre de ce que Vylnes était : une patrie soudée. Un pays désormais divisé, et renommé au nom de l'homme qui est à la source du chaos : Mahr Asgeir.

Il est dit qu'en agissant dans le dos de Cyrice, il est parvenu à influencer toute une partie du peuple, engendrer un coup d'État, et procréer une guerre, jusqu'à renverser le pouvoir. C'est pourquoi j'ai osé espérer que les terres du sud vaudraient plus que les nôtres. En quête d'un semblant de prospérité, j'ai négligé la mort de mes frères et celle d'innocents, en me persuadant que Vylnes n'était pas coupable à juste titre. Que mon père l'était. Que Mahr l'était. Que les terres du sud ne lançaient jamais les offensives, et tuaient alors dans la contrainte.

J'avais beau être réticent à l'idée qu'aucun parti ne soit moins pitoyable que l'autre, je le conçois totalement dorénavant.

Je ressens une haine exacerbée gonfler en moi. Mes muscles se crispent de frustration, tiraillés par une douleur inconnue qui est probablement la conséquence du coup fatal que m'a porté le soldat Vylnesien, après m'avoir sciemment souri. Ma fréquence cardiaque n'est que le reflet de la vitesse à laquelle la rage circule dans mon corps. Donc dans un silence, je ravale mes larmes. Je ne gaspillerai pas une seconde de plus à ruminer la perte d'un être cher.