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𝓐imé






Accoudé aux barrières du balcon, je m'imprègne de la vénusté de la nuit. Mahr est peut-être la définition du chaos, mais ses paysages n'en restent pas moins saisissants. Le clair de lune se reflète sur le courant d'eau qui s'écoule en douceur. Peut-être que j'aurais pu apprendre à apprécier ces terres, si elles n'étaient pas habitées par des enfoirés.

Lorsque j'ai compris que mon père ne rentrerait pas de la nuit, j'ai proposé à Tara de rester. Mais maintenant qu'elle dort en paix au centre du matelas et qu'il m'est impossible d'en faire de même, je me demande si je suis bien placé pour lui apporter du réconfort. Après tout, je reste un homme. Même si lui faire du mal serait la dernière chose qui me viendrait à l'esprit, elle a besoin d'une présence qui s'éloigne de ce qui l'a blessée. Alors en attendant qu'elle récupère des forces, je préserve une distance respectable entre nous.

Et je pense à Sohane.

Seules des personnes anxiogènes ont des réactions immédiates telles que des tremblements, sous l'emprise d'un contact non prévisible. Alors pourquoi ? Sohane n'a rien d'une personne anxiogène. Pas d'apparence en tout cas. Il est impassible de façade et semble baigner dans la quiétude intérieure. De quoi peut-il bien souffrir ? Il a grandi dans un palais qui répondait au quotidien à ses besoins primitifs. Même si je n'ai aucune idée de l'endroit où se trouve sa mère, je ne doute pas du fait qu'il ait grandi entouré d'une autorité parentale. Que ce soit son père, ou le mien. Peu m'importe qu'il se sente concurrencé par son frère, au moins il en a un. Il est possible que j'invalide ses émotions en raison de la haine que je lui porte. Cela-dit, il n'en reste pas moins un enfant pourri gâté par la vie, qui ne se satisfait pas de ce qu'il a à juste titre.

Les gouttes de vin qui s'échappent de ma coupe par mégarde et s'échouent sur mon torse dévêtu me permettent de réaliser que j'ai l'esprit engourdi. Au cœur de la nuit, je m'étouffe dans mon propre silence, tant mes pensées me pèsent. Si ça ce n'est pas déplorable... Mes frères me manquent, ma mère aussi. C'est toujours aussi douloureux de constater que leur voix s'efface au fur et à mesure de ma mémoire. L'alcool ne suffit pas à enfouir ce qui veut éclater au grand jour.

Les paupières vacillantes, je me résous à rejoindre la paillasse étendue au sol, au moment où la porte s'ouvre dans un fracas. Je m'assure que Tara soit toujours éprise de ses rêves avant de me relever. Il faut croire que ce n'est pas suffisant pour la réveiller.

Je me disais aussi ; c'était trop calme.

La large silhouette d'un serviteur du roi se dresse dans mon champ de vision.

— Cette fois, je compte bien te faire expédier de ce palais, mort ou vif, crache-t-il.

— Parce que tu as déjà essayé ?

Il me dévisage comme si je parlais Vylnesien, et cesse de s'exprimer de longues secondes. J'appelle ça la valse du persécuteur persécuté.

— Tu ne t'en souviens pas ? s'agace-t-il.

Une personne qui se sent supérieure, et qui n'a jamais subi de remontrance, ne peut que se retrouver au pied du mur le jour où ce n'est plus le cas. Voici ce qui se produit quand un bourgeois du palais de Mahr pense qu'il est légitime de me menacer pour la simple raison que je suis le pauvre campagnard du coin. Leur égocentrisme me laisse au paroxysme de l'indifférence.

— Compliqué d'avoir une mémoire à court terme quand on est si convoité, ironisé-je.

Maintenant qu'il s'approche de moi et que son visage est éclairé par la lueur de la lune, je le reconnais. Lui, le premier homme qui s'est interposé entre moi et ma quête de vengeance. Elkar, si je me souviens bien. Sa paume de main s'écrase sur ma joue, et je ne réponds pas, conscient que je mettrais juste en péril la sécurité de Tara. Il profite de mon instant de faiblesse pour m'attirer hors de la chambre. Mes pensées sont rivées sur la blonde qui y dort, persuadée que quelqu'un veille sur elle, alors que je l'abandonne, la porte grande ouverte.

Le Chaos Naquit Après [Tomes 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant