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𝓢ohane

Le bonheur en partant m'a dit qu'il reviendrait
-Jacques Prévert



Avant


Maman s'est endormie. Pas moi. Elle a profité que papa soit occupé avec des invités et est venue dans ma chambre en début de soirée. Elle a su que je n'arriverais pas à dormir sans sa présence, comme tous les soirs. J'ai l'impression d'être en retard sur les enfants de mon âge. Eux n'ont pas besoin que leur mère leur tienne la main pour trouver le sommeil.

            Seulement, maintenant c'est elle qui s'est endormie et c'est comme si je me retrouvais à nouveau seul.

            Du bruit m'attire depuis le couloir, alors je tire les couvertures qui alourdissent mes jambes et sors du lit.

Je jette un dernier coup d'œil à maman, dont les ondulations blondes scintillent à travers l'embrasure de la porte. Elle semble sereine.

Je ne sais pas pourquoi j'ai décidé de m'aventurer seul dans le palais, en pleine nuit. Mais je me suis dit que ça ne pourrait être pire que les cauchemars qui s'accumulent quand je dors.

            Des soldats discutent au fond du corridor, je peine à entendre leurs murmures. Tout est trouble, inaudible, inintelligible... jusqu'à ce qu'ils chuchotent le prénom de maman. Adalsine. Je le reconnais autant que mon ombre difforme qui flambe au sol.

            Mon cœur se serre, j'ai un mauvais pressentiment que je ne saurais décrire. Mes pieds s'aventurent d'eux-mêmes quelques mètres plus loin. C'est plus fort que moi, je veux savoir pourquoi ma mère est le centre d'intérêt de spéculations de couloirs.

            Les lumières sont éteintes et je discerne à peine les silhouettes des deux soldats qui conversent, non réceptifs à mon arrivée discrète. Ils sont vêtus de linges noirs qui recouvrent leur peau sombre. Des baillons masquent le bas de leurs visages, comme s'ils ne voulaient pas divulguer leur identité.

Mais pourquoi des soldats du palais auraient-ils besoin de dissimuler leur identité dans l'enceinte même du château ?

            — La reine, elle dort avec l'enfant, remarque le plus grand.

            — Elle le rejoint tous les soirs.

            — Il doit beaucoup compter pour elle.

            Cette phrase s'extirpe de ses cordes vocales d'un ton qui me procure un malaise. Il n'y a rien de positif dans la conclusion que cet homme vient de tirer. Rien d'affectif ou d'empathique, c'est simplement malsain.

            — Et elle doit beaucoup compter pour lui, surenchérit son camarade.

            Des frissons me paralysent, il faut que je sorte d'ici, je ne suis pas sûr qu'ils seraient ravis de savoir que j'ai entendu leur discussion. En fait, je suis persuadé que ce serait une raison suffisante pour m'éliminer. Je ne me sens pas en sécurité en leur présence, j'ai peur de ce qui les initie à me mentionner, moi et ma mère.

            Je perds pratiquement l'équilibre quand je me rue vers l'autre extrémité du couloir. Je ne prends pas le risque de retourner dans ma chambre car j'entends des pas me suivre. Ils m'ont entendu.

            Leurs ombres s'élancent jusqu'à mes pieds, je crains d'être incapable de courir plus vite. Je me déteste d'être aussi faible, je ne suis jamais parvenu à améliorer mes facultés. Je demeure le même, et maintenant, je ne sais plus comment respirer alors que mes poumons se détériorent par manque d'oxygène.

Le Chaos Naquit Après [Tomes 1 & 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant