Toujours pour KanrisLover
Le Papier Peint Jaune
Le bébé n'était pas prévu. C'était une possibilité, évidemment, mais Naomi n'y avait pas pensé, au moment de partager une énième fois le lit avec Cordae. Comme toutes les autres fois n'avaient abouti à rien, elle avait plus ou moins réussi à se convaincre que ça ne se produirait jamais. Elle avait tort, et maintenant que ses phalanges sont blanches à force de s'accrocher aux draps du lit de la chambre d'hôpital, avec la douleur résonnant dans l'entièreté de son corps et l'impression que son corps va s'ouvrir en deux sans jamais pouvoir se recoller, Naomi n'est pas sûre d'avoir vraiment voulu avoir tout ça...
On lui souffle que c'est le plus beau cadeau qu'on peut faire à une Omega comme elle, que sa nouvelle petite fille sera la plus fantastique des princesses et qu'elle pourra venir la soutenir une fois qu'elle reprendra le tennis, mais Naomi n'est pas sûre de pouvoir le croire. Il y a trop de sang sur les draps pour qu'elle puisse imaginer l'avenir pour le moment, et Cordae n'était pas là pour la soutenir pendant le pire moment de sa vie. Peut-être que ses doutes se montrent sur son visage, pendant qu'elle tient sa fille entre ses bras, et on lui murmure que c'est normal d'avoir peur, mais que tout va bien se passer. Naomi veut y croire, mais elle n'a jamais été idéaliste. Elle veut bien les croire par contre, quand ils lui disent de se reposer.
Les trois premiers mois après l'accouchement sont peut-être ce qu'elle avait le plus craint, en commençant sa carrière, mais Naomi pensait que la solitude et l'ennui ne viendraient qu'avec sa retraite. Elle avait tort, maintenant qu'elle passe ses journées à s'occuper de sa fille, à tourner en rond dans son appartement entre biberons et couches, la télévision allumée pour surveiller les chaînes d'information et les compétitions de tennis. Elle a vingt-cinq ans, mais au fond d'elle, c'est comme si elle en avait deux fois plus, alors que son seul plaisir ne se fait ressentir que quand elle peut voir le sourire de sa fille.
Cordae se montre de moins en moins souvent, entre l'enregistrement en studio, son nouvel album à préparer, les tournées à l'autre bout et leur différence de vie, mais Naomi ne voit plus son alpha autant qu'avant. En fait, c'est à peine si elle peut s'assurer que Cordae est toujours vivant, et s'il n'y avait pas les rares appels de son manager pour lui demander d'envoyer une photo de leur enfant une fois de temps en temps pour le remotiver, Naomi croirait presque que son alpha a trouvé quelqu'un d'autre. Cette pensée devrait la faire frissonner, et pourtant, c'est à peine si ça la dérange. Naomi ne comprend vraiment plus rien à ce qu'il se passe, depuis qu'elle a accouché.
Le retour sur les terrains n'est pas aussi facile qu'elle l'aurait cru ; dans un coin de son esprit, elle savait que ça ne serait pas une chose facile, de rechausser les crampons et de courir tout le long d'un terrain, mais son corps lui semble différent, et les maigres échanges avec son entraîneur sur ce sujet ne trouvent pas d'écho. De toute sa vie, Naomi ne s'est jamais sentie aussi seule, alors qu'elle a le droit d'emmener sa fille avec elle, pour l'accompagner pendant les entraînements. Elle déteste les regards de complaisance des autres athlètes autour d'elle, les mêmes que quand elle s'est exprimée sur le bien de sa santé mentale. Aucun d'eux ne peut comprendre ce qui se passe vraiment pour elle, entre le bébé, les sensations qui lui semblent bien trop étrange, et la disparition de Cordae dans sa vie sans que ça ne la perturbe plus que ça.
Il y a toujours la marque de sa morsure sur son cou, et pourtant Naomi a l'impression d'être une mère célibataire, et elle n'est pas aidée par les autres tenniswomen jouant avec sa fille dès qu'elles s'entraînent ensemble, pour préparer son retour à la compétition. Il y a beaucoup de remarques sur son courage de jouer sur les deux tableaux, et Naomi n'est pas sûre de comprendre tout ce qu'il se passe autour d'elle depuis un an. Dans tous les cas, l'objectif premier n'est pas de gagner Roland-Garros, mais de faire un bon parcours. Elle n'est pas sûr de pouvoir le gagner, même si elle n'avait pas été enceinte. Naomi a évidemment regardé les tournois pendant son absence, et elle n'a pas manqué la définitive éclosion d'Iga, ainsi que sa puissance phénoménale sur terre battue. Naomi n'a pas peur d'elle, mais elle sait que c'est une adversaire redoutable, et qu'elle ne la battra que quand elle sera de retour à son meilleur niveau.
Le jour où elle finit enfin par croiser Iga, dans les couloirs de Monte-Carlo, en préparation de Paris, Naomi ressent la plus étrange des sensations, la même qu'elle a ressenti en embrassant pour la première fois Cordae, la même que quand il l'a mordu au cou, la même que quand elle a senti sa fille en elle pour la première fois. C'est de la terreur pure qui l'a assailli pendant les premières secondes, avant que son cœur ne lui souffle que ça ne pourrait pas lui faire de mal, de passer plus de temps avec l'autre omega.
Iga est un monstre de victoires, et Naomi peut à peine la regarder s'entraîner sans trembler, même si ce n'est pas à cause de Roland-Garros. Ce serait de la folie, deux omegas femelles ensemble, deux tenniswomen, deux des meilleures, deux joueuses attirées par la victoire avant même autre chose. Son esprit continue de le lui répéter comme si elle ne le savait pas déjà, mais Naomi refuse de croire que ça ne pourrait pas fonctionner entre elles. Iga est plus douce qu'elle n'en a l'air, même si elle hurle sur le court à chaque set gagné, et Naomi n'oubliera probablement ses gentils mots de félicitations pour sa fille, au détour de ce couloir à Monte-Carlo.
Quand Iga gagne son quatrième Roland-Garros, Naomi dans les gradins avec sa fille entre les bras, l'omega qui est en elle se réveille pour la première fois depuis si longtemps, et elle est sûre que c'est celle qu'elle veut, pour partager le reste de sa vie, malgré les préjugés et tout ce qui ne va pas avec le regard des spectateurs sur leur talent. Naomi ne peut pas lâcher des yeux l'autre omega, ses fines courbes qui semblent dessinées, et son sourire en soulevant délicatement la coupe pour ne pas la casser, comme l'année dernière. Elle est incroyable et belle, tout ce qu'elle désire, et elle fera tout pour l'avoir.
Le regard d'Iga croise le sien, quand son discours de vainqueur est terminé, et si Naomi ne connaissait pas autant la flamme qu'elle voit dans ses yeux, elle aurait seulement cru à un mirage. Oui, Iga est comme elle, et il n'y a pas que les trophées qui l'attirent...
Fin