𝗥𝗘𝗗 𝗟𝗜𝗚𝗛𝗧 𝗗𝗜𝗦𝗧𝗥𝗜𝗖𝗧 || Vitrine 🄽 ° 7

𝘾𝙝𝙖𝙥𝙞𝙩𝙧𝙚 𝟭𝟮 : le cygne.

Dans un brouillard d'incrédulité, elle ouvrit la portière, et sortit avec la lenteur d'une tortue. Son visage avait perdu toute couleur et une sueur froide coulait le long de ses tempes. Alors qu'elle avançait d'un pas chancelant, ralentie par un mélange détonant de peur, de désespoir et de culpabilité presque suffocante, elle se mit à grelotter si violemment dans la légère nuisette qui lui arrivait à peine à mi-cuisses qu'elle claqua des dents. Elle exécrait cet affreux sentiment d'impuissance qu'elle sentait poindre du plus profond d'elle-même. Elle avait toujours du mal à croire que l'inconnu avait mis sa menace à exécution, après tous ses pleurs désespérés pour se faire pardonner ce baiser forcé que Gabin lui avait imposé pendant le vol, et contre lequel elle avait résisté de toutes ses forces. Dieu ! N'avait-il pas vu comment elle se débattait pour le repousser ? 

Elle fixa sa mère, contempla son visage sillonné de rides qui était en ce moment tordu par une émotion de grave déception, ses yeux brillants de colère comme des escarboucles et, soudain, elle eut envie de fondre et de disparaître sous terre, tant elle avait honte de sa conduite. Elle mourrait à petit feu et le temps lui semblait s'étirer à l'infini. Sous la perruque, tous ses cheveux bruns se dressaient. Elle avait l'impression de vivre une situation d'irréel. 

Raya se tenait au bord du trottoir, engoncée dans un peignoir de soie rose, fendu sur le côté, révélant ses longues jambes galbées, mises en valeur par des chaussons en velours à bouts-pointus. Elle affichait un air aussi sombre que confus et donnait l'impression d'assister à une scène épouvantable d'obsèques. Un groupe de curieux se réunit. Génial ! Il ne manquait plus que ça… Peu à peu, l'air se glaça dans ses poumons, et le sang se figea dans ses veines. Le souffle de la brise se mélangea à la voix de sa conscience qui l'admonestait. Embarrassée et frissonnante, elle n'avait d'autre recours que d'accepter son sort avec résignation, comme un condamné à mort au pied de l'échafaud, sur le point d'être exécuté. 

Ensuite, tout s'enchaîna très vite. Sa mère se servit de sa salivation excessive pour lui cracher dessus tellement fort qu'elle faillit se faire dévisser la tête, en la traitant d'ingrate. Elle fila à la vitesse de l'éclair et disparut aussitôt derrière l'épais portail de l'immeuble, sans même se donner la peine d'entendre ses justifications, la laissant malade de chagrin et d'accablement. L'inconnu s'éloigna en trombe dans un bruit de crissement de pneus suivi d'une vague d'exclamations étonnés de la foule. Après l'avoir prise tendrement dans ses bras en un geste de protection, Raya la guida à l'intérieur de la maison. Elle n'eut même pas le courage d'essuyer la salive rosâtre qui maculait abondamment sa joue. Rien ne pouvait apaiser la tristesse qui lui remuait les entrailles. Jamais elle ne se serait pardonné d'avoir inspiré à sa mère autant de dégoût !

— C'est qui cet homme qui t'a déposée ? demanda Raya, avec une expression vaguement curieuse alors qu'elles montaient l'escalier dans un silence interrompu seulement par ses hoquets de douleur. 

Elle resta muette et malheureuse, les yeux perdus dans le vague. Elle ne pouvait pas lui dire ce qui s'était réellement passé, affronter ses fameuses crises de jalousie et revenir sur les événements de cette journée cauchemardesque. Prendre la décision de lui cacher le baiser échangé avec Gabin avait été l'affaire de quelques secondes de réflexion. Lui révéler la vérité signifiait sonner le glas de leur amitié ! Elle ne pouvait pas prendre le risque de perdre la confiance de la personne qu'elle considérait comme sa sœur. Elle ne pouvait supporter de la voir souffrir et se faire du mal en sachant qu'elle en était la principale cause. Elle était prête à faire n'importe quoi, quitte à céder au piège du chantage de Gabin pour ne pas la blesser ; même si l'idée de devoir montrer sa poitrine à ce goujat la révulsait tellement…