XIX ◇ L'essentiel est invisible

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◇ Ses petites mimiques quand il est concentré sur les mots. Ses murmures contrariés quand il perd patience face aux minutes qui défilent. Son écriture aussi gracieuse que ses pas tournoyant sur le parquet. Le rythme de ses doigts fins sur les touches aux tonalités mécaniques. Son étreinte tendre ou ce baiser volé entre deux en-têtes. Son aura qui ne voit que mon être malgré son occupation accaparante.

Je me suis découvert une nouvelle passion, l'imitation de la sangsue. Où comment passer la journée collé à cet énergumène qui me sert d'amant.

Ne le dérangeant nullement, j'ai squatté ses genoux des heures durant, pendant qu'il faisait sa paperasse entassé là depuis trois semaines, voir un mois.

Ce qu'il peut être désorganisé, un vrai gamin. Je trouve cela mignon tout autant que ça me donne parfois envie de prendre un sac poubelle et de foutre tout son bordel dedans. Ça va être quelque chose la cohabitation, surtout avec une crapule qui court partout.

J'ai profité un max de lui avant de devoir le quitter pour rejoindre la demeure familiale, mes parents réclamant de voir ma tête. Il va vraiment falloir envisager une discussion avec eux. Ça me devient insupportable de devoir  leur mentir.

Dans un dernier baiser passionné, un peu trop passionné d'après mon bas ventre, je tourne les talons et m'enfuis presque en courant pour ne pas avoir l'envie de faire demi-tour.

Arrivé devant la porte des parents après 20 minutes de métro et une vessie qui commence à me lâcher également, je file aux toilettes, abandonnant mon bordel dans l'entrée. Très mauvaise idée mon cher Kinji. Ou bien idée tombé à pique, cela dépend du point de vue.

- Tes chaussures sale gosse, tu as cru qu'on était chez les bouseux ou quoi ! Puis c'est quoi ce sweat parachute ? Tu comptes devenir obèse ou c'est encore une nouvelle mode excessive ? Et faut il te rappeler qu'il fait encore 25° la nuit, tu penses vraiment avoir l'utilité de cette chose ?

Perdant le teint rosé de mon visage au fur et à mesure qu'elle déroulait son monologue, je ne pouvais même pas l'envoyer se faire voir étant occupé à vidanger le contenu de ma vessie se faisant aplatir sans aucune vergogne par le colocataire avec qui je partage mon corps.

Super, j'ai vachement préparé cette conversation. Avec tous les arguments bien détaillés et même une intro et une conclusion dans le but de prouver que : oui oui tout va bien, pas besoin de paniquer, je vis actuellement dans le monde des bisounours.

Sauf que, contrairement à l'idéal présenté précédemment, c'est moi qui suis actuellement entrain de paniquer comme une grosse merde.Trouvons un bon gros mytho, ce sera plus simple.

Non bordel ! Tu as décidé d'assumer, alors assume, tout, de A à Z. Tant pis pour l'infarctus imminent, on va le faire suivant la tradition familiale : zéro tact, balancer la bombe et chacun se démerde pour ne pas qu'elle explose.

- Je peux vous causer d'un truc ? Enfin, plusieurs en vrai

- En rapport avec le lieu mystérieux où tu vis depuis des semaines après avoir été viré du campus ?

- J'ai pas été viré ! Bref, c'est pas le sujet mais ouais c'est en lien. On s'assoit ?

- Parce que y'a carrément besoin de s'assoir ?

- C'est mieux je pense

- Bien, nous t'écoutons

Ils se retrouvent en face de moi, une dans le canapé qui trépigne sur place et l'autre dans le fauteuil qui ne dit absolument rien comme d'habitude. Pas du tout stressant comme configuration.

- Vous savez comment je suis, pas très doué pour la conversation. Je vais faire comme je peux, mais va falloir que vous fassiez un effort pour écouter tout ce que j'ai à dire sans m'interrompre, c'est OK ?

- Hum oui oui, accouche

Je ne peux m'empêcher de lâcher un ricanement, ouais c'est le cas de le dire !

- Quoi ?

- Rien rien.. je m'excuse d'avance si ça ne vous plaît pas, mais c'est comme ça

- Oui bon tu vas causer ou bien ? Tu commences à me faire flipper avec tes conneries

- Alors, déjà faut savoir que je me suis découvert un penchant pour les hommes lors d'une soirée un peu alcoolisée et on a merdé, dirons nous. Bon, en soit, c'est pas très grave vu qu'aucun de nous n'envisageait un après. Sauf que j'ai découvert "grâce" à ce mec que moi j'en étais pas entièrement un. Que vous m'aviez pondu avec une anomalie génétique. Le genre qui te fait pousser un utérus qui marche très bien. Et ça, tu l'apprends seulement quand le dit uterus se met à remplir son rôle à merveille. S'en est suivie une PLS neuronale puis un coup de foudre puis la décision d'emmerder le monde et de vivre comme je le veux. Voilà

Un silence, je n'ose pas vraiment lever les yeux de peur de croiser les leurs. Ce fut ma mère qui prit la parole, logique venant d'elle.

- Un résumé clair et concis, je te prie

- Bon comme tu veux, viens pas te plaindre après

- Magne

- J'ai couché avec mon ancien prof de danse, je suis tombé enceint grâce à mon utérus mutant, on est tombé amoureux, on va garder le bébé et j'emmerde ceux à qui ça plaît pas. Voilà c'est plus clair ?

- Oui merci. Maintenant tu la fermes, je vais digérer cette info

Nouveau silence, qui s'éternise un peu trop à mon goût. Je tente un regard vers ma mère, elle fixe le sol, mon père ? Il me fixe moi. Ils sont flippants putain, ils laissent filtrer aucune émotion ! Elle reprend la parole.

- Qu'a dit le médecin ? Y' a t'il un risque pour ta santé si tu vas jusqu'au terme ?

Je m'attendais pas vraiment à ça. A une grosse crise plutôt, c'est sa spécialité normalement.

- Pas plus qu'une nana apparemment

- Hum. Et tu as eu l'option de l'avortement où il était trop tard ?

- J'avais entammé la procédure mais j'ai changé d'avis avant l'intervention

- Hum je vois.. Et cet homme, qu'en pense t-il ? Que compte-t'il faire ?

- Être papa avec moi, répondre à nos besoins à tous les deux, trouver un nouveau logement pouvant nous accueillir moi et le bébé et m'aimer comme je suis

- Et toi ? Que comptes-tu faire ?

- Apprendre à être papa, apprendre à vivre à deux, apprendre à être moi, donner un environnement stable et accueillant à mon bébé donc mettre de côté ma carrière de danseur pour une durée indéterminée. En gros, trouver un nouveau chemin où je pourrais m'épanouir à leurs côtés

- Je t'aime, mon idiot fils

Super.. Pas du tout ce que j'avais prévu comme déroulement. Conséquence : aucune réaction préparée face à cela. Résultat : mes hormones se chargent, sans mon consentement, de la réponse à donner.

Je me mets donc à chialer, comme un gosse qui a flippé de se faire défoncer après avoir fait une connerie et qui s'aperçoit finalement, que sa mère n'est pas fâchée.

- Viens là, sale gosse

Elle s'est assise près de moi et m'enlace, mon père nous rejoignant dans une étreinte tendre.

Merde, depuis quand je suis aussi entouré moi ? J'étais aveugle à ce point ? Ou bien, l'essentiel est invisible pour les yeux finalement ? ◇

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◇ Anomalie ◇Où les histoires vivent. Découvrez maintenant