Révolution

Chapitre 7

Juan serrait compulsivement la main de Markus dans la sienne alors qu'ils montaient l'escalier qui les conduirait dans le bureau de la Juge aux Affaires Familiales. Markus diffusait des phéromones apaisantes pour lui, mais Juan était trop pétri d'angoisse pour s'en rendre réellement compte. Il n'y eut que lorsqu'ils ouvrirent la porte de la salle d'attente et que Jasper buta dans ses Omégas brusquement arrêtés que Juan réalisa qu'ils étaient arrivés. Sa main libre chercha désespérément celle de son Alpha parce que face à eux, sur une chaise de plastique beige fort peu avenante, se trouvait son Alpha. Celui qui aurait dû l'être, tout du moins.

Jasper, Yaël sur un bras, posa sa main sur la nuque de Juan. Son index glissa sous le collier de chasteté, qu'ils avaient jugé préférable de refermer sur le cou de l'Oméga le temps de l'entrevue. Ils n'avaient pas envie de faire savoir à Marc que Juan avait dû se lier pour supporter sa grossesse. Pour ne pas s'entendre dire qu'il n'était pas fait pour enfanter, qu'il aurait dû écouter son ancien amant, que la paternité n'était pas pour lui et que son corps était trop faible, sans Alpha.

Peut-être était-ce le cas, mais un Alpha, il en avait un, et depuis quelques semaines il allait beaucoup mieux. Il avait commencé son nid, et il y passait un temps infini, s'y réfugiant dès que les enfants étaient trop bruyants ou quand il était fatigué. La nuit, il dormait entre ses amis, Jasper lové dans son dos et séparé de Markus uniquement par le petit corps de Charlotte, qui lui mettait des coups de pieds dans le nez régulièrement tant elle remuait en dormant. La journée, il participait aux tâches de la maisonnée et passait beaucoup de temps à jouer avec son filleul, quand il rentrait de l'école. Markus l'exhortait à écouter son corps et sa fatigue, et souvent, il se lovait dans le sofa avec Markus et Yaël à l'heure de la sieste du nourrisson. Jasper possédait à présent un nombre incalculable de photos les impliquant tous les trois, ses deux Omégas et son dernier-né, endormis en tas sur le canapé du salon.

Alors oui, tous les trois, ils avaient décidé que Marc n'avait pas besoin de savoir cela, et que Juan ne lui devait rien. L'Alpha lui fit un sourire éclatant, comme s'il était ravi de le revoir après une courte séparation, alors qu'ils ne s'étaient pas vus depuis plusieurs mois. Il était plus beau que jamais et Juan se mordit l'intérieur de la joue pour ne pas trop le dévisager. Dieu qu'il lui manquait. Depuis que Jasper l'avait marqué, il ne pensait plus au père de son enfant. Mais de l'avoir sous les yeux, souriant, avenant, beau comme jamais, l'Oméga sentait sa résolution vaciller.

Puis Marc parla, et l'enchantement fut rompu.

— Tu es venu avec ta garde rapprochée, Chou. Tu as peur de moi ?

Juan leva les yeux au ciel d'un air blasé et alla s'assoir à l'exact opposé de son ex-compagnon, une main toujours dans celle de Markus, Jasper suivant de près. Ce dernier passa un bras protecteur sur les épaules de l'Oméga, poussé par l'instinct plus que par la raison. Il fallut que Markus lui donne une tape discrète sur les doigts pour qu'il cesse de diffuser des phéromones possessives. Juan se retint de ricaner. Il adorait voir son ami alpha se faire rabrouer par son Oméga. Un mouvement dans son être lui fit perdre la notion du temps, il se tourna vers son enfant et posa la main là où il avait senti une ondulation. Il ne remarqua pas que Marc, en face, le dévisageait intensément, le regard sautant du visage imperturbable de l'Oméga à la main qui soulignait l'arrondi du ventre, jusque-là caché sous un vêtement ample. L'Alpha semblait fasciné autant que perturbé par cette vision de son ex-amant, et de ce corps différent de celui qu'il avait connu. Jasper dut prendre sur lui pour ne pas tapisser Juan de phéromones possessives tant ce regard intrusif lui déplaisait.

Fort heureusement la tension fut brutalement rompue par la porte qui s'ouvrit, et une femme âgée d'une cinquantaine d'années, le visage fatigué, les interpella.