Dépression post-partum. C'était ainsi que l'on nommait ce dont souffrait Juan, et c'était précisément pour cette raison qu'il était à nouveau assis dans le bureau de Jasmine Debois. Parce que les séances avec la psychologue lui faisaient beaucoup de bien, mais que cette dernière estimait qu'une béquille chimique serait préférable pour quelque temps. Cela faisait un bon mois qu'il la voyait deux fois par semaine et en effet, si parler lui faisait du bien, cela ne suffisait pas à faire taire la noirceur de ses pensées. Il se voyait sauter à chaque fois qu'il approchait du balcon. Il se voyait noyé quand il prenait son bain. Il se voyait tomber sur les rails quand il prenait le métro. Il se voyait mort et il se griffait les bras et il n'y avait que cela qui lui permettait de continuer à mettre un pied devant l'autre et à s'occuper de son fils. Comme un robot, en pilote automatique, sans vraiment d'émotion, ou avec trop d'émotions pour pouvoir en définir une, mais Jolan allait bien, il était propre, nourri, choyé, il commençait à sourire aux anges et la nuit dernière il s'était réveillé une fois de moins que d'habitude.
Dans le bureau de la médecin, il tétait avidement, pour se remettre du vaccin qu'il venait de recevoir dans chaque cuisse. La docteure avait rassuré l'Oméga, lui certifiant que son enfant allait très bien, qu'il était aussi éveillé que n'importe quel nourrisson de son âge, qu'il se semblait pas souffrir de stress et qu'il était inutile de culpabiliser : il n'allait pas « attraper » la dépression de son père avec son lait ou ses phéromones. On pouvait faire une dépression et être un excellent parent, ce n'était pas incompatible. Demander de l'aide, l'accepter, c'était une preuve que l'on voulait aller mieux et aussi, quelque part, une preuve d'amour pour son enfant.
Jasmine n'était pas psychologue, mais elle avait accompagné assez de patients dépressifs pour savoir trouver les mots. Elle n'aurait certainement pas utilisé les mêmes avec une personne encore plus gravement malade que Juan. Car si ce dernier ne voyait pas d'issue à son mal être, avait les idées si noires qu'il pensait à la mort quotidiennement, il n'était pour autant jamais passé à l'acte et l'amour qu'il portait à son fils, sans pourtant le réaliser puisqu'il affirmait « ne pas savoir l'aimer », le mettait sur la bonne voie. Une personne plus gravement atteinte n'aurait pas pu essayer de s'occuper de son enfant, certaines ne pouvaient même pas se lever de leur lit tant elles souffraient psychiquement. Avec ces patients-là, elle n'aurait jamais parlé ainsi. Mais avec Juan, cela marcherait peut être. Entouré par ses amis, épaulé par sa psychologue, avec quelques médicaments, il remonterait la pente en quelques mois, elle l'espérait. Bien sûr, elle ne devrait pas penser ainsi, et elle ne l'avouerait jamais à personne – sauf peut-être à Samir, qui partageait son sentiment – mais ce trio avait trouvé une place particulière dans son cœur de médecin au fil des années tant leur cas était passionnant... et tant ils étaient agréables, gentils et aimants. Cela avait été passionnant d'étudier le fonctionnement d'un couple lié par les phéromones puis par morsure définitive pendant dix ans. Mais l'arrivée de Juan dans le trio avait ajouté à leur fonctionnement une variable unique au monde.
Elle sourit à son patient.
— Vous allez aller mieux, Juan, je vous le promets. Vous n'aurez pas besoin de médicaments bien longtemps. Je sais que vous voulez être totalement indépendant mais j'aimerais que vous acceptiez l'aide de Markus et Jasper. Que vous l'acceptiez vraiment, je veux dire. Sans culpabiliser. Vous êtes une famille. Une famille différente de ce que l'on voit le plus souvent, mais pas si rare non plus, vous savez ? Il m'arrive régulièrement d'avoir des patients qui vivent à trois, ou des duos de parents qui ne sont pas un couple mais des amis avec le même désir d'enfant. Vous allez trouver votre équilibre, mais pour cela peut-être qu'il faudrait que vous cessiez de vous considérer comme dépendants d'eux. Vous êtes une équipe. Vous n'avez jamais, je suppose, considéré Markus dépendant de Jasper, ou même de vous depuis que vous vivez avec eux, et encore moins Jasper dépendant de lui, n'est-ce pas ?
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Révolution
RomanceUne révolution, c'est un bouleversement, un changement. Une révolution, c'est aussi un tour complet sur soi même. Le tour que la Terre fait autour du soleil. Une révolution, c'est aussi ce que vit Juan, Oméga récessif, considéré comme stérile, 35...