20. Deux mains

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- Alors Louis, ça a donné quoi votre rendez-vous avec le cabinet d'architectes ?

Le coude sur le comptoir, la joue dans sa main, M. Denote me fait la conversation depuis 10 minutes. Le bar est calme ce soir. On a le temps de discuter.

J'apprécie beaucoup ce client. Il est toujours prompt à parler et, chose rare, écoute toujours les réponses. Pas tout le monde ne sait réellement écouter.

Lui est au courant que mes collègues et moi avions rendez-vous cette semaine avec les porteurs du projet d'immeuble. Il l'a retenu et vient donc aux nouvelles.

Je grimace en essuyant le comptoir avec mon torchon.

- Pas très bien... je résume. Enfin, si, ça s'est bien passé au début, mais en fait ça s'est mal passé.

M. Denote rit tout doucement en buvant une gorgée de sa vodka aux cramberries.

- Désolé Louis mais il va vous falloir être plus explicite !

J'en ai conscience et je souris aussi, tout en regardant une silhouette désormais familière faire le tour du comptoir.

- Qu'est-ce que j'ai loupé ? lâche Harry en s'asseyant.

Il a l'air essoufflé, comme s'il avait couru jusqu'ici. Je remarque tout de suite qu'il est encore habillé de son costume et qu'il a avec lui la large sacoche qu'il porte en bandoulière et dans laquelle il glisse son travail. Il sort donc du boulot et est venu directement.

- Désolé, je sors juste d'un rendez-vous important, il s'excuse en se recoiffant pour discipliner ses boucles puis il ôte sa cravate dans un geste viril.

Je le regarde, intrigué. Ça me fait rire qu'il agisse ainsi. S'excuser, être confus pour un retard. Quel retard ? Il n'a aucune contrainte d'horaire. Il n'a rendez-vous avec personne dans ce bar. Ce n'est pas comme si un client l'attendait. Et il n'est que 19h45, soit bien plus tôt que ses horaires habituels.

- Will..  il dit après avoir fourré la cravate dans sa poche. Il tend sa main à M. Denote pour le saluer. Comment tu vas ?

Je tique en entendant le tutoiement. Ça me fait quelque chose de voir que je ne suis pas le seul qu'il tutoie.

Mais en même temps c'est logique, cela fait plusieurs semaines qu'ils se cotoient chaque vendredi eux aussi. Ils discutent d'ailleurs davantage ensemble puisque moi je travaille.

Je me demande si M. Denote en sait plus que moi sur la vie d'Harry en dehors de cette pièce.

Certainement.

Il sait sûrement depuis le tout premier jour à qui il est marié, quel type de vie il mène. Cela fait partie des premières questions que deux inconnus se posent. "Et vous êtes marié ? Vous avez des enfants ? Que fait votre femme dans la vie ?". Ce genre de banalités qui permettent de mieux connaître son interlocuteur.

Parce qu'Harry était d'abord M. Styles, mon client, je n'étais pas en droit de poser ces questions là lorsque je l'ai rencontré, discrétion oblige.

Rapidement, il m'a plu et je l'avais vue, la bague à son doigt. Donc je possédais la seule information véritablement nécessaire à ma connaissance : M. Styles n'était pas libre.

C'était un message d'alerte suffisamment fort. Il aurait dû me faire rebrousser chemin. J'ai finalement décidé de l'ignorer alors, à partir de là, connaître l'histoire derrière l'anneau était presque devenu hypocrite et inutile puisque je semblais m'en foutre royalement, préférant écouter mon cœur palpitant et mon désir ardent pour lui, plutôt que la raison.

Hôtel BarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant