Hôtel Bar

22. Kukka

Vendredi 26 juillet. Cinq mois plus tard.

- Li, tu peux me remplacer s'il te plait ? J'ai besoin d'une clope.

Mon pote lève les yeux vers moi et s'approche.

- Yes pas de souci mais fais vite, c'est blindé ce soir.

- Ouais t'inquiète, je n'en aurai pas pour longtemps...

Je m'empresse de passer par les vestaires et d'attraper mon paquet de cigarettes. À peine arrivé dehors, je suis déjà en train de l'allumer et de tirer une grande taffe dessus.

Liam a raison, c'est de la folie ce soir. Le bar est plein de clients. Il faut dire qu'il y avait un match et les supporters sont venus en nombre encourager l'équipe anglaise qui jouait à la télé.

La chaleur est suffocante à l'intérieur et je suis bien content de prendre l'air. Il est 22 heures et le temps commence à se rafraîchir un peu. Cette soirée est éreintante et ma semaine au boulot a été tout aussi épuisante.

Je n'ai donc qu'une hâte : rentrer chez moi et pouvoir virer mes pompes et mon pantalon, pour me mettre à l'aise dans un short et des claquettes. Ou me glisser dans mon lit et dormir de tout mon saoul jusqu'à demain midi.

Mais il reste encore quatre heures minimum de service, autant dire une éternité.

Et encore, ça, c'est si aucun client ne décide de squatter le bar jusqu'au bout de la nuit. Avec la chance que j'ai, je sens que certains vont vouloir jouer les prolongations.

J'ai oublié mon cahier chez moi alors, au lieu de dessiner, je réponds à quelques messages et finis par jeter mon mégot. Il faut que je me bouge avant que Liam ne pète un câble tout seul derrière le comptoir.

Au moment de passer la porte, j'observe le mur contre lequel Harry m'a tant de fois embrassé.

Il n'y a pas à dire, les pauses cigarettes avaient plus de saveur avec lui...

- Sale journée ? me demande M. Denote lorsqu'il me voit repasser derrière le bar.

Okay, je dois faire ma tête des mauvais jours et il faut vraiment que je me ressaisisse !

- Sale semaine ! je réponds en souriant.

- Alors ça y est, ils ont commencé les travaux ? m'interroge mon client, l'air concerné.

M. Denote sait que l'entreprise spécialisée dans le bâtiment devait commencer cette semaine à couler les fondations du nouvel immeuble qui va voir le jour juste à côté de mon travail.

Lonis, c'est son nom, un "super complexe" mêlant commerces, salle de sport, appartements et locaux pour des bureaux d'entreprise. La Rolls-Royce des immeubles. LE futur bijou du quartier comme l'a décrit le maire.

Le chantier a pris quelques semaines de retard, notamment en raison de notre mobilisation. Mais malgré la pétition, qui a recueilli plus de 2 000 signatures, malgré notre manifestation et malgré les articles parus dans la presse, le promoteur a maintenu son projet en l'état, avec le soutien du maire et de son équipe.

Dans 17 mois, cet immeuble flambant neuf ouvrira donc ses portes. "Lonis, la résidence novatrice !" a lancé le maire ce midi devant les journalistes alors qu'il posait la première pierre en compagnie du promoteur, du chef du chantier et du cabinet d'architecture en charge du projet.

Dans 17 mois, cet immeuble surplombera le nôtre, nous privant au passage de soleil. D'ici là, nous allons avoir droit au bruit et à la poussière émanant des travaux. Bref, une formidable période en perspective.