Le lendemain, sur les coups de quinze heures, la sonnette carillonna. C'était Clara, chargée d'une petite valise. Étant en bas à ce moment, ce fut moi qui lui ouvris. C'était la deuxième fois qu'elle venait ici.
Sans même me saluer, la jeune femme se mit à critiquer la difficulté de se rendre d'un point A à un point B dans cette partie « paumée » du Finistère. Lorsqu'on n'avait pas son permis, comme Clara, seul le covoiturage permettait le trajet le plus direct possible. En effet, Loctudy n'était pas desservi par les lignes ferroviaires, à l'inverse de Quimper. Il fallait forcément prendre le car, le bus ou sa voiture. Alors, la copine de mon frère pestait, vantant le réseau imparable de transports en commun de la capitale. Son air de chat dégoûté par du lait tourné m'horripila mais je jouais la carte de la bonhommie.
Enfin, Thomas arriva et je m'esquivai avec joie. Je n'appréciais guère la jeune femme ; mais parce que mon grand frère l'aimait, je l'avais acceptée sans faire de vague.
En maillot de bain une pièce sous une tunique au col en V, serviette de plage, crème solaire et porte-monnaie dans mon cabas, j'attendais Rémi, assise sur une balançoire. Quand je lui avais proposé tout à l'heure de se baigner, il avait aussitôt accepté. Mais seulement après avoir terminé de lire la dernière BD des Blake et Mortimer, cela va sans dire. Alors, je prenais mon mal en patience.
Quand mon petit frère daigna apparaître sur la terrasse, je bondis sur mes pieds. En chemin, je remarquai son air embarrassé. Bizarre, pensai-je. Plusieurs fois, je l'entendis se racler la gorge. De plus en plus étrange. Interloquée, je lui jetai de fréquents coups d'œil. Finalement, il passa aux aveux sans que je n'eusse rien à faire.
— Lulu, ne m'en veut pas, s'il te plaît, murmura Rémi.
— Ça va être compliqué si tu ne m'en dis pas plus.
— J'ai proposé à Agnès et Mathieu de nous rejoindre à la plage.
Pardon ? m'étouffai-je mentalement. Ai-je mal entendu ? Ma réaction fit frétiller ma petite voix de joie. Attrapant son avant-bras avec vivacité, je m'arrêtai de marcher en plein milieu du sentier à travers bois qui nous donner un accès direct à la plage, sans avoir à emprunter les multiples chemins goudronnés, encadrés par des maisons avec jardin, et les sentiers côtiers. Vaste privilège que les miens exploitaient fréquemment. Grands seigneurs, nous en avions accordé l'accès aux Nallès.
— Tu n'as quand même pas fait ça !? D'avril à fin juillet, j'ai eu le bonheur de goûter à une paix royale mais depuis qu'il est de retour, il est encore plus moqueur avec moi qu'avant. Tu as dans l'idée de me gâcher la fin des vacances ou quoi ?
— J'ai dit Mathieu et Agnès, répéta mon frère. Personne t'oblige à lui parler, Lulu.
— Mais tu aurais pu n'inviter que sa sœur ! Et pourquoi pas d'autres amis pour changer des Nallès ? Qu'ont-ils de spécial à tes yeux ?
— Ils sont sympas et on rigole bien avec eux. Et puis Ronan ne sera là que demain et Bleuenn, Lena et Ayden reviennent le jour de la rentrée. Tugdual ne pouvait pas non plus, il est à l'anniversaire des cinquante ans de ses grands-parents paternels. Allez, fais pas la tête, Lucile ! Te fâche pas !
— De toute manière, je n'ai pas d'autres choix que d'accepter, râlai-je.
Rémi retrouva le sourire mais il eut tôt fait de le perdre quand j'ajoutai dans un grincement :
— En revanche, si Nallès, cette tête de mule, ose m'enquiquiner, je lui fiche la claque de sa vie et je pars.
Ce personnage m'était devenu si intolérable que de l'urticaire agressait mon épiderme dès que je prononçais son prénom, je m'étais donc résolue à le désigner par son nom de famille. L'énergumène me le rendait bien car il m'appelait aussi par mon patronyme.
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La Nostalgie de l'horizon marin
RomanceLeurs familles sont amies. Ils se détestent. La guerre couve entre eux. Lucile vous dirait que Mathieu est un insupportable enquiquineur qui ne mérite que mépris. Mathieu vous affirmerait qu'il n'aime rien tant qu'asticoter cette incorrigible peste...