Chapitre 58 - Lucile

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Il m'avait fallu un temps infini pour comprendre, accepter, reconnaître et nommer cet amour que j'éprouvais pour Mathieu. Il y a quelques minutes encore, j'avais dû arracher les mots de ma bouche comme un arracheur de dents. Cet aveu était de loin celui qui m'avait le plus coûté à confesser. Il remettait en cause tant de choses dans ma conception de la vie. De ma vie.

Je ne saurais dire ce qui m'avait poussée à venir à la plage à cette heure-ci de la nuit. D'habitude, quand le sommeil me dédaignait, je prenais un livre ou je dessinais. Mais cette nuit n'avait rien de routinier.

Cette nuit, mon cœur avait pris les commandes, refoulant ma raison et mes principes sous un tas de galets.

Cette nuit, à près d'une heure du matin, quand j'avais aperçu Mathieu, tout mon être m'avait crié de le rejoindre au bord de l'eau.

Cette nuit, j'avais accepté cet amour qui débordait du cadre, tel des gouttes de peinture aspergées sur un mur. J'avais accepté de voir qu'il ne me volerait pas ma liberté ou mon indépendance. Bien au contraire. Aimer ainsi était une autre forme de liberté. Si riche.

Fais gaffe, tu flirtes avec le romantisme que tu exècres tant, persifla ma conscience quelque part sous ma caboche. Je t'aime, chère petite voix, répliquai-je. Elle en eut la chique coupée.

En quelque sorte, Mathieu était devenu mon tout, un de mes piliers. Il était loin d'être parfait, pourtant. Toutes ces années à nous chicaner et ces quelques mois de colocation l'avaient prouvé. Pourtant, je découvrais que je l'aimais ainsi, à mi-chemin entre l'exaspérant garçon déconneur et l'émouvant jeune homme, blessé dans sa chair comme un oiseau attaqué par un gros matou qui n'en ferait même pas son festin. Moi non plus, je n'étais pas un exemple de perfection. En plus, si Mathieu le devenait, cela m'obligerait à faire de même, pensai-je, pince-sans-rire. À cette réflexion, ma conscience s'esclaffa.

Au cœur de février, les pieds engoncés par l'eau fraîche, je venais de lâcher la bride. Il m'avait fallu dix-huit ans, presque dix-neuf.

Cet amour durerait-il ? Serait-il entaché par trop de ressentiments, de reproches, de regrets ? Jusqu'où tiendrait-il bon face aux aléas de la vie et les erreurs que nous ne manquerions pas de commettre ?

Je mettais remise à cogiter, à vouloir contrôler ce qui ne pouvait l'être.

Ankylosée par ma position, je remuai entre les bras forts de Mathieu qui me portaient presque et cherchai son regard. Il pétillait d'un éclat si vif. Les regrets amers et la culpabilité qui y planaient depuis l'accident s'étaient volatilisés. Jusqu'à quand ? Je savais ne pas être le remède à ses démons.

Doucement, je caressai une de ses joues, me sentis consumer sous ses yeux épris de moi. J'esquissai un sourire, teinté d'incrédulité. Je n'étais pas près de m'habituer à ce regard.

— À quoi tu penses ?

— À trop de choses. Je ne réalise pas encore ce qui vient de se passer, ce qu'on s'est dit.

— Je peux t'y aider, susurra-t-il, le sourire polisson.

— Oui, embrasse-moi, répondis-je en rougissant de mon audace.

Mathieu ne se fit pas prier et fondit sur mes lèvres. C'était si agréable, si doux. Je soupirai d'aise mais le vent hivernal et l'eau froide se rappelèrent à mon bon souvenir. En plus, je commençais à fatiguer dans cette position. Même les bras de celui qui faisait battre la chamade à mon cœur ne pouvait m'en prémunir. Il le remarqua d'ailleurs.

— Viens.

Il m'incita à le lâcher. J'avais eu un mal fou à le voir autrement que comme mon adversaire, mon complice dans la connerie, et voilà que de ne plus être blottie contre lui me paraissait impensable. Tu n'es plus à une contradiction près, me brocarda ma conscience. Mais je ne l'écoutais pas. Mes doigts s'étaient entrelacés à ceux de Mathieu. Lui non plus ne semblait pas supporter la distance, même minuscule.

La Nostalgie de l'horizon marinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant