Ayant remercié mon covoitureur et récupéré mon bagage, je me mis en marche dans l'atmosphère froide et humide de cet hiver.
Après ma discussion aux dimensions cosmiques avec Estelle et les quelques minutes passées devant la tombe de Soizic, j'avais passé le reste des deux jours à ressasser ce qui s'était produit avant mon départ de Brest. Je devinais par avance que Lucile chercherait à me tirer les vers du nez. Hélas pour moi, je ne savais par quelle pirouette je me sortirais de cette situation improbable. Bien que j'aie abdiqué face à l'insistance d'Estelle, je ne me sentais pas encore le courage de me mettre à nu.
Je ralentis la cadence en remarquant que la rue de Siam se profilait déjà. Mon sac en bandoulière se mit à taper mollement contre ma cuisse tandis que mes chaussures en cuir crissaient sur les graviers épars du trottoir. Peu de personnes osaient braver ce temps de neige fondue et de grisaille déprimante, qui plus est avec la nuit en passe d'avaler le soleil.
Le cœur lesté de plomb et le pas lourd, je poussai la porte de l'immeuble.
Au cinquième étage, je posai la main sur la poignée et m'apprêtais à l'abaisser quand je me mis à hésiter. Avais-je réellement le courage, là, à cet instant précis, de me justifier devant ma colocataire ? Assurément non. Tu pourrais faire un coucou à Alix, susurra astucieusement ma conscience. Pas bête, la guêpe ! approuvai-je. Puisqu'il semblait avoir abandonné son animosité à mon encontre, autant en profiter pour mettre les choses à plat une bonne fois pour toutes. Cette résolution prise, j'avalai une grande bouffée d'oxygène, lâchai la clenche, posai mon bagage sur le paillasson et grimpai quatre à quatre les marches menant au palier de mon ancien ami.
La sonnette tinta de l'autre côté. Quelques minutes s'écoulèrent avant que le battant s'ouvre et laisse apparaître un jeune homme dans la vingtaine en tenue légère, voire très légère puisqu'il ne portait qu'un caleçon. Mes sourcils se froncèrent d'incompréhension. Je reculai d'un pas, cherchant mes mots. M'étais-je trompé d'appartement ? Pourtant, c'était bien inscrit Alix Lebrun au-dessus du bouton de la sonnette.
— Qu'est-ce que tu fiches ici ? s'écria une voix bien connue.
Alix venait de surgir dans le dos de l'inconnu, le col de chemise de travers, un pan de vêtement mal enfilé dans son pantalon qui bâillait, sa tignasse blonde en désordre. Pour couronner le tout, ses joues rouge vif témoignaient de son embarras.
J'écarquillai les yeux d'incrédulité en comprenant enfin ce que cette scène signifiait. Alix aimait les hommes ! Jamais je ne l'aurais cru, pensai-je sous le choc. Normal, tu manques cruellement de discernement quelquefois, ricana ma vilaine petite voix. Quand parviendrai-je à te rabattre définitivement le caquet ? m'exaspérai-je. Lorsque les poules auront des dents, me nargua-t-elle.
Voulant me débrouiller les neurones, je secouai la tête, puis posai un regard neuf sur Alix Lebrun. Ce garçon, ce coéquipier, ce chicaneur, devenu un homme sans que je le connaisse vraiment au fond. Un sentiment de honte mêlé à de la culpabilité me submergea soudain. J'étais un bien piètre ami en vérité.
— Comment..., commençai-je sans réussir à terminer ma question.
Semblant résigné maintenant que son secret était éventé, Alix esquissa un pâle sourire et me fit signe d'entrer dans ses quartiers. Je passai devant le couple et me dirigeai vers le salon.
Quelques affaires traînaient sur la table basse du séjour, un ordinateur portable chargeait au pied d'un mur, la lumière d'un réverbère filtrait à travers un rideau à demi tiré, une lampe léchait de sa luminosité les feuilles lisses d'une plante baignant dans une assiette creuse en équilibre sur un tabouret à trois pieds.
VOUS LISEZ
La Nostalgie de l'horizon marin
RomanceLeurs familles sont amies. Ils se détestent. La guerre couve entre eux. Lucile vous dirait que Mathieu est un insupportable enquiquineur qui ne mérite que mépris. Mathieu vous affirmerait qu'il n'aime rien tant qu'asticoter cette incorrigible peste...