Chapitre 47 - Mathieu

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Débarqué à Pont-l'Abbé, au lieu du quartier où vivait ma famille à Loctudy comme c'était initialement prévu, je m'arrêtai à l'une des trois fleuristeries de la ville. J'en ressortis encombré d'un bouquet tout simple.

Plus j'approchai du champ du repos, plus mes pas se firent lents. Mais le parfum floral que je humai pour me donner du courage m'aida à franchir les derniers mètres, puis la grille blanche grande ouverte. La bise était mordante en ce jour mitigé et froid.

Je venais si rarement que je me perdis dans ma déambulation entre les centaines de sépultures. J'avais un doute sur la forme et la couleur de la pierre tombale. Je me souvenais vaguement de sa simplicité et d'une photo de Baptiste protégé par un cadre ovale.

Enfin, je crus être arrivé dans la bonne allée. Une personne se recueillait déjà sur une des tombes, à genoux sur le gravier, sans égard pour ses vêtements. Pour ne pas troubler ses prières, j'avançai encore plus lentement. Mes yeux sautaient de sépulture en sépulture, espérant chaque fois découvrir le prénom et le nom de mon ami. Sans succès.

C'est devant la tombe où se recueillait la personne que je compris ma méprise. La tombe de Baptiste, c'était celle-ci. Et l'éplorée était la sœur du défunt.

Près de trois ans que nous ne nous étions plus vus. Autant dire une éternité. Elle était presque méconnaissable avec son crâne rasé et sa longue doudoune noire. Mais je l'avais reconnue grâce aux piercings dorés et argentés qui décoraient artistiquement son oreille gauche.

— Bonjour, Estelle.

Je crus qu'elle ne m'avait pas entendu car elle ne broncha pas. Respectant son indifférence, je me tenais quelques pas derrière. Je la vis se pencher en avant et poser les lèvres sur le marbre froid. De longues secondes plus tard, elle se redressa lentement, recula, puis se tourna vers moi.

— Bonjour, Mathieu.

Un ange passa. Que pouvions-nous nous raconter après tout ce qu'il s'était passé ? Rien. La mort de Baptiste avait rompu les amarres. Le quai s'était irrémédiablement amenuisé. La lourde chaîne de l'ancre avait sombré avec celle-ci dans les profondeurs. Une vague scélérate avait tout raflé, avalé.

— Tu as apporté des lys, remarqua Estelle, les fleurs préférées de Baptiste. Ne reste pas planté comme un benêt, pose-les donc.

Je m'exécutai, un peu gauche, et restai un instant de plus accroupi, le regard fixé sur la photo de Baptiste. Contrairement à la fois dernière, elle ne me submergea pas d'une violente remontée de souvenirs. Il n'y eut pas non plus de culpabilité rugissant au fond de mon être. Le devais-je de m'être confié à Lucile ?

Quand je me relevai, plutôt serein, des prunelles d'un troublant bleu méditerranéen tirant sur le violet me scrutaient sans rien laisser paraître.

Cette particularité de la jeune femme me fascinait depuis que je la connaissais. Les iris de son frère étaient, eux, d'un marron des plus classiques. Lui, le premier, croyait dur comme fer que ce violet était la manifestation des dons de sa sœur. En effet, elle pouvait couper le feu et faire disparaître les verrues par ses mains, placées à proximité des zones à traiter. Je l'avais déjà vue à l'œuvre et c'était très impressionnant. Mais ses dons avaient leurs revers. De ses séances, Estelle ressortait épuisée, migraineuse, souffrant dans ses mains et ses bras du passage du feu. Pour couronner le tout, elle devait gérer ses troubles bipolaires qui la fragilisaient. Bien sûr, sa famille la soutenait mais c'était éreintant. Baptiste s'épanchait peu, sauf quand ce combat quotidien devenait trop lourd à porter. Comme lorsque sa sœur renâclait à prendre son traitement, tempêtait ou leur faisait du chantage. Nous en parler lui permettait de mettre de la distance, de ne pas s'oublier.

La Nostalgie de l'horizon marinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant