Chapitre 17 - Mathieu

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Assis sur une des chaises en plastique disposé le long d'un couloir de la partie administrative de l'établissement, à proximité directe du bureau du proviseur, j'attendais que Carlos en sorte. Un pincement plus aigu que les autres me coupa le souffle et je plaquai instinctivement sur ma côte fragilisée. Le paracétamol donné par l'infirmier scolaire ne faisait pas encore effet. Respirer était donc une souffrance que la fourberie de Valentin avait aggravée. Je fermai les yeux une seconde et inspirai lentement.

Immanquablement, mon cerveau me repassa le film des quelques minutes où Valentin me querellait. Cette fois, même mon indifférence n'avait pas été efficace face à son fiel. Carlos m'avait pourtant mis en garde contre la rancune tenace de ce malandrin. M'attaquer alors que j'étais en position de faiblesse faisait partie de ses tactiques minables.

En cet instant, j'étais à deux doigts de regretter d'avoir quitté l'hôpital, laissant derrière moi la jeune Soizic. Malgré ma promesse de lui rendre visite régulièrement, sans pour autant empiéter sur celles de ses parents, elle me manquait. En quelques jours, elle avait si bien creusé sa place dans mon cœur qu'il m'était impossible de l'en extraire. Sa sagesse primesautière était rafraîchissante et déconcertante.

Soudain, un bruit de pas dans le couloir perpendiculaire au nôtre m'alerta. Je penchai la tête. La silhouette élancée de Mylène se profilait. Elle marchait à grandes enjambées, ses talons claquant contre le sol. Après m'avoir accompagné à l'infirmerie, elle avait filé à son casier pour une raison urgente d'après elle. J'étais donc étonné qu'elle nous rejoigne ici.

— Ton urgence est réglée ? m'enquis-je.

Mylène opina, puis s'excusa une énième fois de n'avoir pas osé intervenir quand Valentin me menaçait. Elle l'avait côtoyé assez longtemps pour savoir comment gérer ses frustrations.

— Vraiment arrête de t'en vouloir, c'est inutile.

— Hum. J'espère que Carlos ne va pas être trop durement puni.

— Également. Mais si c'est le cas, il s'en remettra, intervint Benjamin en remontant ses lunettes sur son nez.

La porte convoitée s'ouvrit soudain sur l'objet de nos craintes. Derrière Carlos, la silhouette de Valentin se dessina. Sans lui accorder le moindre regard, j'avançai vers mon ami.

— Ça va ta côte ? s'inquiéta celui-ci.

J'opinai du chef.

— Tout de même, consulte ton toubib pour être sûr que tout va bien. Franchement, tu sais choisir ton moment pour revenir, vieille branche. Déjà deux fois que tu te trouves aux prises avec ce crétin un jour de retour. Qu'est-ce que ce sera la prochaine fois ?

— Il n'y en aura pas, ma ganache.

— J'espère bien. Bref. Combien vous reste-t-il de temps avant le début des cours de cet après-midi ?

Nous disposions tous d'une bonne heure.

— Eh bien, c'est parfait ! J'ai apporté le Poker des cafards, annonça Carlos.

Et dans un même élan, nous nous mîmes en quête d'un endroit où nous poser. Du côté de la salle d'étude, le calme nous séduisit. Autour d'une table, après avoir ajouté deux chaises, on lança la partie à la suite d'une explication des règles pour les néophytes.

— Samedi, j'organise une petite soirée chez moi, nous apprit Carlos après son tour. Mes parents sont d'accord et j'aurai la maison pour moi tout seul parce qu'ils partent avec ma sœur chez des amis.

Mylène refusa poliment et je restai muet tandis que Benjamin s'enthousiasmait au point de proposer d'apporter de la nourriture et des boissons. Carlos apprécia son coup de main et interrompit carrément le jeu pour lui faire noter scrupuleusement la liste de courses.

Alors que la partie reprenait de plus belle, Carlos me redemanda si je viendrais, moi aussi. Face à mon hésitation, il promit qu'il n'y aurait pas de boissons alcoolisées. Alors j'acquiesçai.

Les minutes s'égrenèrent, rendues palpitantes par la tournure du jeu. À la fin de la première partie, nous voulûmes tous prendre notre revanche, excepté Benjamin qui avait su nous bluffer jusqu'au bout. Sous ses airs candides, il était un redoutable joueur. Mylène se chargea du mélange du paquet et de la distribution des cartes.

— C'était comment à l'hôpital ? me questionna Carlos pendant ce temps.

Alors je leur racontai pas rencontre avec Soizic, cette enfant de dix ans qui m'avait bouleversé, remué jusque l'âme.

— Vous seriez estomaqués par sa sagesse.

— Ah oui ? rebondit Carlos. À dix ans, elle l'est plus que nous au même âge ? Il me semble que c'est à cette période que nous commettions les pires bêtises.

J'approuvai en repensant aux âneries qu'on avait commises avec le plus grand dévouement. Benjamin et Mylène insistèrent pour les connaître et c'est ainsi que nous passâmes les trente minutes suivantes, à rire de nos frasques respectives que nous contâmes chacun à notre tour. Nous fûmes si distraits que la deuxième partie de Poker des cafards se révéla assez lamentable. Notre hilarité en sortit redoublée.

Un peu de légèreté et une bande d'amis plein d'allant, pensai-je en laissant mon regard courir sur le visage détendu de Mylène, le rire de Benjamin, le regard nostalgique de Carlos. J'avais de merveilleux compagnons, ce que je ne réalisais pas assez souvent. Dans ces moments-là, la mort perdait de son attrait à mes yeux. Jusqu'à la prochaine lame de fond.

La Nostalgie de l'horizon marinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant