Valentin venait de partir avec fracas. Il avait osé venir jusqu'ici dans le seul but de me narguer. Moi et ma côte fracturée, on avait qu'à bien se tenir, d'après lui. Il s'était grossièrement vanté de bientôt remporter le pactole, c'est-à-dire récolter toutes les médailles d'or au meeting puisque je ne serai pas là pour le concurrencer. À chaque saison, nous nous disputions les première et deuxième place du podium dans plusieurs catégories de nage, le papillon et le 4x400m quatre nage en tête ; les concurrents des autres clubs nous talonnaient sans jamais nous supplanter.
Spectateur. Je devais être simple spectateur de son futur triomphe ! Je fulminais. Je te préfère ainsi, commenta ma petite voix. Pourvu que les autres clubs du pays Bigouden sachent lui rabattre le caquet, pensai-je. Si je n'avais pas eu la faiblesse de provoquer Lucile, je n'en serais pas à prier pour qu'un club concurrent nous batte. En plus, ce n'est pas sympa pour tes autres coéquipiers, renchérit ma conscience. Ma vie était vraiment un fiasco magistral, une farce abjecte, un théâtre morbide et navrant. Il ne tient qu'à toi de la rendre belle, souffla ma petite voix.
Un raclement de gorge me ramena à l'instant présent.
— Depuis quand Valentin Morvan est habité de pensées altruistes ? lança Lucile sans même un bonjour.
— Ne prends des vessies pour des lanternes, Tigresse. Ce faquin est juste venu savourer son triomphe. Maintenant, il va se prendre pour le roi...
— Le roi... Tu n'exagères pas un peu ? Et puis, dois-je en déduire que tu me tiens pour responsable de la situation ? Ce serait vraiment très mesquin de ta part. Si tu n'avais pas eu l'outrecuidance de me traiter d'ogresse et d'autres choses encore, je ne me serais pas autant emportée et tu ne serais pas dans un lit d'hôpital. Alors, tes revendications minables par rapport au lycée que tu nommes ton royaume, tu vas te les mettre là où je pense !
— Qu'est-ce que le lycée à avoir là-dedans ? m'interloquai-je sans la détromper sur le reste.
— Ce n'est pas de l'école dont tu parlais en disant que l'autre butor se prendrait maintenant pour le roi ?
— Non, pas du tout. Je parlais de la prochaine compétition de natation qui aura lieu avant que je sois complètement rétabli. Avec Valentin, on s'affronte souvent dans les mêmes catégories de nage. À cause de ma côte fracturée, il va pouvoir faire le malin et se croire meilleur que tout le monde.
Lucile hocha la tête, semblant enregistrer l'information que je venais de lui donner, puis un sourire goguenard se peignit sur ses traits.
— C'est vrai que tu fais partie d'une équipe de natation. Dans mon souvenir, tu en étais resté à la pataugeoire ! me brocarda-t-elle avec gouaille.
J'eus un petit reniflement méprisant.
— Avoue que tu te venges de moi pour les mots que j'ai eus au mariage de Gabin.
— Tant de perspicacité me sidère !
— Si tu attends que je fasse repentance pour mon attitude, suggérai-je effrontément, je te signale que nous nous sommes déjà mutuellement excusés.
— C'était sous le coup de l'émotion, rien à voir avec de véritables excuses. Et si je me fie à ta mine, tu ne sembles pas traumatisé.
— Effectivement. Ça te rassure ?
Lucile haussa les épaules mais je vis dans son regard qu'elle l'était. Qu'elle s'en soit voulu me toucha. Alors, je me redressai avec précaution et, plantant mon regard dans le sien, soufflai :
— Je te demande pardon pour mes paroles blessantes, Breton.
La surprise conquit son visage et j'en fus ravi.
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La Nostalgie de l'horizon marin
RomanceLeurs familles sont amies. Ils se détestent. La guerre couve entre eux. Lucile vous dirait que Mathieu est un insupportable enquiquineur qui ne mérite que mépris. Mathieu vous affirmerait qu'il n'aime rien tant qu'asticoter cette incorrigible peste...