Chapitre 6 - Lucile

11 1 3
                                    

Deux semaines plus tard

Délicatement, je décrochai ma robe bleu outre-mer de son cintre, l'enfilai, puis rabattu le battant de mon armoire pour me mirer dans le long rectangle de glace qui y était collé. Ce jour était un jour spécial, celui du mariage de mon frère aîné. Voilà pourquoi j'avais décidé de porter une robe. C'était ma façon à moi de marquer le coup.

D'un geste fébrile, j'époussetai les multiples plis qui formaient une corolle à partir de ma taille et réajustai une des bretelles sur mon épaule. À mon poignet droit, mon bracelet cuivré glissait et frottait ma peau au moindre mouvement. Autour de mon cou, un foulard du même bleu que la robe chatoyait.

Mon reflet me plut. Par réflexe, j'inspectai mon visage mais n'y trouvai pas trace de pustules. Depuis le collège, mes amies ne se lassaient pas de s'extasier sur ma peau exempte d'une poussée d'acné prononcée. Au lycée, je mesurai régulièrement ma chance.

Mais ne pas être trop embêtée par mon épiderme ne m'empêchait pas de nourrir des complexes morphologiques. J'aurais aimé posséder des hanches moins larges et être moins gourmande. Peut-être aurais-je été plus à mon aise dans ce corps. Mon corps.

Je grimaçai en me remémorant une des piques favorites de Mathieu. Sagace, il avait saisi mon mal-être et me brocardait souvent d'un « T'as qu'à faire de la chirurgie esthétique ». Quel sot ! À vrai dire, je le lui rendais bien en l'attaquant sur l'appareil orthodontique qu'il ne portait plus que depuis quelques mois. Il me faudra trouver une nouvelle rengaine, pensai-je.

Quelqu'un frappa à la porte, me tirant de mes réflexions, et une tête apparut dans l'embrasure. C'était maman. Me tournant dans sa direction, je pris une pose avantageuse et plaisantai sur ce à quoi je ressemblais dans cette robe. La fêlure dans mon petit rire me trahit. S'approchant de moi, elle caressa ma joue avec tendresse et déposa un baiser sur mon front, une lueur d'amour dans le regard.

— Tu es jolie comme un cœur ! affirma-t-elle. Fais attention, tu pourrais voler la vedette à ta belle-sœur.

J'esquissai un sourire, touchée, même si j'avais dû mal à y croire. Belle-sœur... Il faudrait que je m'habitue à ce statut. Même si cela faisait longtemps que Gabin et Eléonore étaient en couple, leurs fiançailles à la va-vite une dizaine de mois plus tôt continuaient de me surprendre.

— J'ai entendu Rémi grogner pas plus tard que tout à l'heure que tu lui avais fait du chantage sur ses BD pour qu'il daigne t'aider à faire les lits, c'est vrai ou il exagère ? s'enquit soudain maman.

— Je plaide coupable votre honneur...

— Je ne te reproche rien, ma puce. Quel lambin depuis qu'il est au collège... Tu aurais dû me demander, je t'aurais prêté main forte.

— Maman, on en a déjà parlé, répliquai-je. Tu fais déjà bien assez de choses pour notre famille, en plus de ton poste au musée de la Conserverie Alexis Le Gall, c'est normal qu'on te décharge de quelques tâches. Vous nous avez appris à être serviables et reconnaissants pour la chance qu'on a.

Touchée malgré la pointe d'agacement qui perçait dans ma voix, elle caressa ma joue, puis m'invita à rejoindre les autres en bas.

Dans le couloir entre le salon-salle à manger et la cuisine, la frénésie des derniers préparatifs régnait en maître. Tout le monde courait en tous sens à la poursuite d'un ruban, d'une chaussure égarée ou d'un veston mal repassé. Les rires nerveux éclataient par intermittence, les blagues idiotes aussi.

Maman me lâcha le bras pour aller faire je ne sais quoi tandis que mon regard se posait avec affection sur cette délicieuse agitation. Je m'attendris en observant ma grand-mère maternelle refaire le nœud de cravate de son mari ; j'esquissai un sourire revanchard en écoutant les remontrances paternelles à un Rémi nonchalant au possible. Les mains dans les poches de son pantalon gris perle, les cheveux indisciplinés et son nœud papillon vieux rose de travers, il rentrait les épaules comme s'il portait tous les malheurs du monde sur le dos. Mamie Rose, ma grand-mère paternelle, vint à sa rescousse et calma son fils avec toute la subtilité que nous lui connaissions. On finit par lever le camp à l'appel du frère de ma mère, très à cheval sur les horaires, en plus d'être un maniaque de la propreté et avoir l'humour pour bête noire.

La Nostalgie de l'horizon marinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant