Chapitre 33 - Lucile

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J'étais très en retard. Damned ! Comment se fait-il que j'ai loupé mon réveil ? m'alarmai-je en sautant dans les premiers vêtements qui me tombèrent sous la main sans vérifier s'ils étaient bien assortis. Sans prendre la peine de me coiffer, je courus dans la cuisine me restaurer un minimum.

Tout en croquant dans une pomme, je m'aperçus que mon colocataire m'observait d'un air goguenard. Je lui retournai un air mauvais, maugréai entre mes dents et enfilai mes chaussures à cloche-pied, puis ma veste, sac sur l'épaule. La pomme juteuse rognée jusqu'au trognon, je jetai ce dernier sur le comptoir.

J'arrivai une quinzaine de minutes après le début du deuxième cours. Heureusement pour moi, cette matière était assurée par un professeur réputé pour sa demi-heure de retard quotidienne. Essoufflée mais contente de n'avoir rien raté, je fouillai du regard la salle pleine à la recherche de mes nouveaux comparses.

À ce moment-là, Jeanne-Indiane se tourna dans ma direction et, me reconnaissant, agita la main. Je me faufilai discrètement dans la rangée, m'assis à côté de Mirco et sortis mon ordinateur portable. L'enseignant, qui venait de faire son entrée, embraya aussitôt, m'empêchant de leur raconter ma mésaventure du matin qui pouvait bien attendre la fin du cours, deux heures plus tard.

À midi, Mirco nous quitta pour déjeuner à son appartement proche du campus. Au moins, nous serions épargnées d'une énième version de l'histoire de son grand-père communiste et résistant durant la Seconde Guerre mondiale !

Avec Jeanne-Indiane, nous nous assîmes sur un banc du parc qui slalomait entre les divers bâtiments du campus. La blonde extirpa son casse-croûte de son sac à main. Dans la précipitation, j'avais oublié le mien. Je m'étais donc rabattu sur l'un des distributeurs disséminés sur le campus. Tout en mangeant lentement mon en-cas sucré qui m'aurait fait grimacer en d'autres circonstances, je saisissais ici et là des bribes de conversations de groupes d'étudiants. Certains me jetaient des coups d'œil curieux ou narquois à la dérobée. Je ne comprenais pas pourquoi. Déjà en cours, j'avais perçu des commentaires railleurs.

— Lucile, je crois que tu viens de lancer une mode, s'amusa Jeanne-Indiane en louchant sur ma tenue.

Interloquée, je suivis son regard et compris enfin la lueur moqueuse dans les prunelles de Mathieu et les allusions dont j'avais fait l'objet. Il n'a même pas eu la gracieuseté de me prévenir ! pestai-je en riant jaune. Je portais un vieux jean délavé, taché de peinture, et mes converses dévoilaient des chaussettes de Noël. Ma marinière aurait pu rattraper le désastre s'il n'y avait eu l'état de mes cheveux.

— Je me suis réveillée en retard, me justifiai-je, embarrassée, en passant la main dans ma chevelure.

Sous mes doigts, je sentis un gros nœud et, tentant de le démêler, me coinçai un doigt. Je tirai un grand coup dessus afin de le libérer de l'emprise tentaculaire de ma tignasse désordonnée. Une poignée de cheveux s'arracha avec lui. Je grimaçai, dépitée. Décidément, me réveiller sur des chapeaux de roue ne me réussissait pas.

— Je crois que ma brosse à cheveux traîne quelque part dans mon sac, lança Jeanne-Indiane en se mettant à farfouiller dans son cabas sur lequel le blason de la Bretagne avait été brodé avec minutie.

Un moment passa. Amusée, je l'écoutais ronchonner contre le bazar qui y régnait. L'étudiante me faisait penser à Nolwenn. Elle aussi peinait souvent à mettre la main sur ce qu'elle cherchait. Le fameux cliché de la femme qui trimballe toujours tout un tas de choses inutiles mais qui ne parvient jamais à trouver ce qu'elle convoite à l'instant idoine, songeai-je. J'étais sûrement l'exception à la règle. Je ne prenais que le strict nécessaire, allant parfois jusqu'à négliger mon portefeuille. À la réflexion, je suis moi-même un cliché, continuai-je de gamberger. Du genre de l'étourdie de service qui oublie sa tête, l'adorable et attachante tête en l'air des comédies romantiques. À la seule grande différence que j'étais dotée d'un tempérament ingérable, terriblement pénible.

La Nostalgie de l'horizon marinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant