Chapitre 31 - Mathieu

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— Pourquoi tu as baissé le son ?

Je venais de tourner la molette de la radio vers le moins pour plus de calme. La musique agressive dès le matin, très peu pour moi. Surtout lorsque je devais me réveiller aux aurores alors que j'étais un lève-tard. Dans ces cas-là, seuls les mélodies douces et le silence trouvaient grâce à mes yeux. Et ce jour en particulier, je n'étais pas d'humeur à supporter la cacophonie de la radio qu'affectionnait ma colocataire. Il marquerait mon entrée à l'université. Une page définitive se tournait.

— J'aime bien le calme le matin et ça me donnait mal à la tête, finis-je par répondre.

— Pauvre petite chose fragile, me railla Lucile, perchée sur un tabouret devant son bol de céréales.

Entre nous, elle avait érigé une barrière constituée d'un paquet de Muesli, une brique de lait, la plaquette de beurre et deux pots de confitures. Le tout parsemé de miettes de pain et de taches de lait et confiture. Petit porcinet, me gaussai-je en mon for intérieur.

— Tu ne m'avais pas dit que ta rentrée était l'après-midi ? m'étonnai-je au bout d'un moment.

— Si.

— Mais alors pourquoi t'étais-tu levée si tôt ?

— Je suis une lève-tôt et puis, comme ça, je n'ai pas l'impression de passer à côté de ma journée.

— Et quand c'est le week-end ou les vacances, tu ne fais jamais de grasses matinées ?

— Rarement. J'imagine que, toi, par contre, c'est ton cas.

— Évidement ! m'exclamai-je, tout sourire.

— Le contraire m'eût étonné, se moqua Lucile. Tu es plutôt tire-au-flanc.

— J'assume, affirmai-je sans perdre le sourire.

— Au moins, tu n'es pas lâche.

Lucile se leva et déposa son bol dans l'évier. Elle s'apprêtait à tourner les talons lorsque je la retins par le poignet. Ses sourcils se froncèrent.

— La vaisselle ne se fait pas miraculeusement, je te signale. On n'est pas dans la Belle et la Bête ici.

— D'accord mais ne compte pas sur moi pour faire la tienne, m'avertit-elle.

— T'en fais pas, je suis un grand garçon, je sais nettoyer des assiettes. Mais si tu insistes, ce sera avec plaisir !

— Paltoquet, grogna-t-elle en me tournant le dos.

Avec ardeur, elle se mit à frotter sa vaisselle avant de la passer sous l'eau, la sécher et la ranger. À sa suite, je répétai les mêmes gestes.

Habillé d'affaires sentant bon la lessive utilisée par ma mère, le sac sur le dos, j'empruntai l'escalier. L'air frais du dehors m'accueillit. Peu de monde arpentait les trottoirs, encore encombrés des bacs roulants du tri sélectif que leurs propriétaires ne tarderaient pas à ranger. Les rues quittaient tout juste leur sommeil.

Après être descendu du bus à l'arrêt de l'université, je m'avançai parmi les grappes d'étudiants qui coloraient les allées du campus. Furetant du regard les lieux, je me dirigeai vers ma faculté.

L'amphi où eut lieu la présentation du corps enseignant de la formation STAPS était bondé. À vue d'œil, il était difficile d'évaluer s'il y avait autant de filles que de garçons. Malgré la masse, j'avais trouvé une place de libre à côté d'un jeune homme à la tignasse blé mûr et à l'air sympathique.

— Moi, c'est Jonathan, murmura ce dernier à la faveur d'un silence. Et toi ?

— Mathieu, répondis-je en lui tendant la main.

Il me la serra avec une vigueur étonnante. Il paraissait frêle dans son corps filiforme, ses longs doigts effilés et son visage aux os saillants. Rien, chez lui, ne laissait deviner cette énergie, sauf peut-être le gris magnétique de ses iris. Remis de ma surprise, je lui renvoyai son sourire. Ledit Jonathan s'apprêta à dire quelque chose mais fut coupé par la reprise du discours d'un des professeurs.

Jonathan s'avéra très bavard. À la fin de la journée, je connaissais à peu près tout de sa vie ! Son père qui s'était remarié quelques années après le décès de sa première femme ; sa demi-sœur âgée de cinq ans ; sa distance d'abord envers les deux intruses, puis son affection grandissante pour la petite.

— La vie est souvent une grosse pelote de laine enchevêtrée que chacun tente de démêler à sa façon pour y voir plus clair, avait-il philosophé en conclusion.

— Avec plus ou moins de succès, avais-je ajouté en songeant aux nœuds trop serrés que je rencontrais sur ma route.

Plus tard, Jonathan m'avait confié son désir d'être prof de sport dans une ZEP pour aider les jeunes défavorisés à croire en leurs capacités, à apprendre à se battre à la loyale pour atteindre leurs rêves, et pourquoi pas les plus fous. Mais aussi apprendre d'eux la dureté de leur milieu, se laisser épater par leur débrouillardise, écouter leurs rires teintés d'une gravité nullement enfantine. J'admirais son projet ambitieux, porteur de tant de sens que j'espérais qu'il y parvienne.

***

À l'appartement, je dus déverrouiller la porte d'entrée, ce qui me fit supposer que Lucile n'était pas encore de retour.

Ces quelques jours en sa compagnie m'avaient déjà permis d'enregistrer qu'elle oubliait de fermer à clef toutes les portes. La peur irrationnelle de se retrouver bêtement bloquer dans un espace clos, avait-elle fini par avouer. Ainsi que son besoin impérieux de mettre les pieds dans l'eau ou plonger le regard dans le déchaînement des vagues, peu importe le temps. Avec le quasi-déluge des derniers jours, Lucile avait pourtant dû y renoncer. Je souris au souvenir de son ton de tragédienne quant à l'impossibilité de mettre le nez dehors à moins de finir en serpillière vivante. J'en avais encore les oreilles vrombissantes. L'accalmie depuis hier était donc la bienvenue pour le moral de mon infernale colocataire.

Accoudé à la balustrade du balcon, la bouche pleine de mon goûter, je regardai le soleil entamer sa longue descente à l'horizon. Le ciel était émaillé de nuages épars, zébrés de lueurs chatoyantes. Nous étions encore loin du moment où la nuit recouvrirait le pays ; néanmoins, les journées commençaient à doucement raccourcir.

Ayant trop chaud, je retirai mon sweat et le lançai par-dessus mon épaule.

Grave erreur.

La Nostalgie de l'horizon marinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant