La fête de Carlos pour clore en beauté ses années lycée battait son plein. Elle avait débuté depuis près de deux heures et se déroulait sous les meilleurs auspices. Un soleil en fin de course mais lumineux nous couvait de ses lueurs orangées que trouveraient sublimes les artistes dans l'âme ; le chant des oiseaux et des grillons nous enveloppait de sa douceur chaleureuse et entraînante, se mêlant au clapotis hypnotique des vagues à marée basse.
Nous étions une trentaine de lycéens, autant de filles que de garçons. Carlos a bien fait les choses, persiflai-je gentiment en mon for intérieur. Certains étaient debout, d'autres s'étaient installés sur le sable, autour du petit feu qu'on avait allumé. C'était interdit par la loi mais on ne s'était pas privé d'enfreindre les règles de sécurité, malgré la zone naturelle protégée à proximité de la plage, tout en faisant attention à ce que rien ne créait un départ de feu incontrôlable. Et puis, nous avions parmi nous une championne de la protection de l'environnement pour nous empêcher des erreurs regrettables.
En face de moi, adossé à un bois flottant à demi ensablé, Carlos discutait avec animation avec des camarades. Continuant de parcourir la petite foule des yeux, je repérai Lucile et Mylène en pleine conversation avec quelques autres.
Assis à côté de moi, Benjamin et Even, un de mes coéquipiers en terminale ES à Laennec, débattaient bruyamment à propos de leur passion cinéphile. L'un soutenait que le cinéma coréen tenait à devenir célèbre ; l'autre ne jurait que par le cinéma étatsunien. Mais ils étaient tous les deux d'un avis pessimiste et tranché sur le cinéma français qui ne tenait encore debout que perfusé par quelques bons films. Peut-être qu'ils exagéraient ; peut-être que je ne pouvais pas comprendre au vu de mon maigre bagage cinéphile.
Pour ma part, j'étais perdu dans mes propres pensées où s'entremêlaient la fin de saison des meetings de natation et mes réflexions sur une activité qui m'ouvrirait à d'autres univers. J'avais d'abord pensé à la musique ou aux loisirs créatifs mais je n'avais guère l'oreille musicale, ni la finesse requise pour des travaux manuels. Maintenant, j'envisageais un apprentissage de la langue des signes. Ce domaine m'avait toujours fasciné sans que j'ose franchir le pas.
***
Quelques heures plus tard, aux alentours de minuit, nous n'étions plus que quelques-uns autour du feu : Carlos, Benjamin, Lucile, Even, Mylène et moi. Les irréductibles, m'amusai-je. Les discussions allaient bon train, passant de l'économie à la politique, du sport aux séries télévisées, de la montée du ressentiment en France aux conflits partout dans le monde qui plombaient notre moral, des tracas rencontrés par les éleveurs et cultivateurs du coin face aux changements météorologiques et la montée de nouvelles pratiques plus écologiques. Une heure tout à fait ad hoc pour refaire le monde, ironisai-je.
Plusieurs fois, mes prunelles accrochèrent celles de Lucile. Venimeuses, espiègles, presque tendres. Cette constatation me fit l'effet du dard d'une abeille planté dans le gros orteil. Fermant les yeux une seconde, je m'efforçai de retrouver un peu de rationalité. C'était la fatigue qui me faisait délirer, rien d'autre. En es-tu si sûr ? me titilla ma petite voix. Certain ! tonnai-je en pensée.
— On fait un « action ou vérité » ? proposa d'un coup Even à la cantonade.
La majorité l'emporta. Personnellement, j'aurais préféré m'en passer ; j'avais un mauvais pressentiment.
Les questions et les vérités ou actions s'enchaînaient. Jusqu'au tour de mon défouloir. Tendu, je me fis plus attentif. Lucile choisit vérité. Mais je pouvais me décrisper, la question n'obtiendrait pas une révélation extraordinaire. La seule personne qu'elle avait rêvé de tuer un jour, c'était moi.
Ce fut ensuite au tour de Carlos. Il opta pour l'action à la grande joie d'Even de voir un peu de défi. Pour ma part, je me concentrai sur ce que Lucile allait lui ordonner de faire, connaissant très bien son esprit nébuleux et inventif.
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La Nostalgie de l'horizon marin
RomanceLeurs familles sont amies. Ils se détestent. La guerre couve entre eux. Lucile vous dirait que Mathieu est un insupportable enquiquineur qui ne mérite que mépris. Mathieu vous affirmerait qu'il n'aime rien tant qu'asticoter cette incorrigible peste...