Je me réveillai la tête prise dans un étau, un marteau piqueur cognant mon crâne. De toute évidence, j'avais abusé de la boisson. Il fallait bien une demi-douzaine de vodka grenadine assaisonnée de quelques shots pour que ton projet d'oublier le drame de jeudi soir soit efficace, commenta ma conscience. Je grommelai, un arrière-goût d'alcool sur ma langue pâteuse, puis me traînai en sous-vêtements hors de la chambre où Jeanne-Indiane dormait encore.
Dans la salle d'eau, j'astiquai ma dentition, démêlai ma tignasse et m'aspergeai le visage pour me réveiller entièrement. Cela fait, je pris une douche et savourai le jet d'eau tiède sur ma peau. Puis enturbannée dans une serviette, je revins dans ma chambre et piochai des vêtements dans mon armoire à tâtons.
Sur les couvertures entassées pour former un semblant de matelas confortable, Jeanne-Indiane changea de position. S'éleva alors de faibles ronflements. Elle m'avait prévenue la veille qu'elle en avait hérité de sa grand-mère qui était, apparemment, une véritable locomotive. L'image m'avait fait sourire.
Je repartis sur la pointe des pieds m'habiller, puis ralliai le séjour miné par des obstacles insolites : des chaussures traînaient dans le couloir, nos manteaux avaient échoué sur le lino et je louchai sur le petit monticule de vêtements surmonté d'un soutif rouge en dentelle – celui de J-I, de toute évidence, puisque j'avais dormi avec le mien.
Un soupir franchit mes lèvres face à ce désordre causé par deux jeunes femmes saoules comme des grives. J'espérais qu'on avait été assez discrètes par égard pour mon colocataire, qui n'avait manifestement pas eu le courage de pousser nos affaires dans un coin en partant. Le furieux besoin de ranger avorta dans le grondement hostile de mon estomac et je me dirigeai dans la cuisine dans l'intention de préparer le petit-déjeuner. Mais je m'aperçus qu'il était près de midi moins le quart.
— Eh bien, ce sera brunch !
Du salé, du sucré, des légumes, des féculents, des laitages s'amoncelaient maintenant sur le comptoir-table. Ces effluves de nourriture durent parvenir aux narines de Jeanne-Indiane et la réveiller car elle finit par émerger en T-shirt et culotte. Elle se frotta les yeux et s'étira en marchant vers moi. Je m'enquis de sa nuit et elle ne se fit pas prier pour me narrer par le menu ses rêves loufoques dont elle avait un souvenir très précis.
On éclata de rire en chœur quand elle me détailla son combat contre une armada d'hippocampes en fureur à l'aide d'un sabre laser ou encore une course sur les genoux dans les vapeurs brumeuses d'un arc-en-ciel artificiel avec une grosse libellule de la taille d'un grizzly. Je manquai me brûler à l'entente de ce dernier récit tant je gloussais.
— Folle nuit, hein ! s'amusa Jeanne-Indiane en plantant sa fourchette avec appétit dans une patate dégoulinant de cheddar.
— J'aimerais bien me souvenir de rêves comme les tiens mais, sitôt le sommeil envolé, les miens s'évanouissent.
Après notre copieux brunch, on décida d'ajouter une once de sérieux à ce samedi en se mettant à travailler sur notre projet concernant les rapports entre justice et médias. On bossa d'arrache-pied pendant deux heures et demie, élaguant le sujet, déterminant ses principaux axes, commençant à réunir toutes les informations intéressantes sans les trier et cherchant des exemples concrets d'affaires qui avaient été très largement médiatisées et leur impact. Jusqu'à ce que mon cerveau commence à s'égarer régulièrement et que Jeanne-Indiane m'en fasse la remarque.
— Pardon, j'ai la tête ailleurs...
— Je le vois bien. Ça te soulagerait qu'on en discute ?
— Non, non, c'est pas très important. Un souci avec mon coloc. Mais ça va se régler, t'en fais pas.
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La Nostalgie de l'horizon marin
RomanceLeurs familles sont amies. Ils se détestent. La guerre couve entre eux. Lucile vous dirait que Mathieu est un insupportable enquiquineur qui ne mérite que mépris. Mathieu vous affirmerait qu'il n'aime rien tant qu'asticoter cette incorrigible peste...