En entrant, j'avais interrompu la présentation de l'immuable règlement intérieur. L'enseignante, que je connaissais assez bien pour l'avoir déjà eu comme professeure principale l'an passé, me pressa de prendre place sans pour autant me tancer pour mon retard. Elle, plus que n'importe qui d'autre parmi le corps enseignant, savait la tragédie qui avait ébranlé sa précédente classe. Et plus encore me concernant car mes parents l'avaient mise au parfum. Elle faisait donc partie des rares témoins à m'avoir vu partir en lambeaux en ayant toutes les cartes en main. Mais les pouvoirs de la Sorcière dans le Loup-garou n'avaient eu aucun effet sur moi... ou si peu. Était-ce pour ces raisons qu'elle avait été assignée à ma classe une seconde fois ?
Ne souhaitant pas me perdre en conjectures qui ne ferait que raviver une période douloureuse, je m'excusai précipitamment et partis m'installer là où il y avait une chaise de libre. L'une d'elles voisinait la chaise d'un blondinet joufflu. Le style obéissant au vu de l'écriteau bien en évidence, bricolé avec une feuille de cahier où était inscrite son identité. Benjamin Roland, lus-je.
Celui-ci me bredouilla un bonjour sans même oser croiser mon regard. Visiblement, il manquait de confiance en lui ou peut-être était-ce un excès de timidité. Pour ma part, j'avais été épargné par ce fléau.
À l'inverse total de mon voisin de table, certains possédaient bien trop d'assurance à mon goût. À commencer par Valentin Morvan. Élève brillant scolairement mais prétentieux et raciste. Alors qu'il me snobait depuis le jour où j'avais intégré l'équipe de natation masculine de Pont-l'Abbé, il m'avait désormais en ligne de mire depuis que je le concurrençais dans plusieurs catégories de nage. Sans le vouloir, notre coach avait attisé sa méchanceté, à trop louer mon esprit d'équipe, mon fair-play, ma façon de toujours soutenir mes coéquipiers, même quand je venais de perdre une course. Au sein de notre groupe de six, il était le seul à faire bande à part, se drapant dans son honneur offensé.
Valentin se faisait donc un devoir d'empoisonner mes jours. Si ça n'avait été que les miens, je m'en serais accomodé. Mais un seul souffre-douleur ne lui suffisait pas. Ce jeune fat traquait toutes personnes vulnérables pour en faire son jouet le temps de quelques minutes humiliantes. La vie scolaire avait beau le coller, l'intégrer à des actions contre le harcèlement scolaire, convoquer ses parents, il n'y avait rien à faire. La mauvaise herbe repoussait toujours entre ses orteils, gangrenant inlassablement son être. Je plaignais sincèrement ses parents, à moins qu'ils soient de la même trempe que lui. Et dans ce cas-là, on ne pourrait plus rien pour eux. Rares étaient ceux qui résistaient à ce malotru et j'en faisais partie.
Pour l'heure, entouré de quelques vauriens du même acabit que lui, Valentin se répandait en injures et perfidies avec délectation tandis que je restais de marbre, résolument vissé à mon banc devant mon plateau-repas. Mes poings trop serrés dans la poche ventrale de mon sweat, dont l'écusson brodé était à l'effigie de mon club de natation, commençaient à devenir douloureux. Assis à côté de moi, Carlos me pressait de quitter le self, déjeuner englouti ou pas. De même pour le blondinet timoré en face de moi. Celui-ci n'en menait pas large. Il s'était ratatiné comme pour disparaître dans un trou de souris.
Le voir ainsi terrorisé par Valentin me révulsait. Ce qu'il nous avait raconté sifflait encore à mes oreilles. Benjamin avait été la cible de la méchanceté de cet imbécile l'an dernier, son isolement quotidien le désignant comme une proie facile. Cela n'avait duré que quelques jours mais ce fut suffisant pour déstabiliser l'adolescent et le rendre encore plus craintif.
Alors céder à la raison, je ne m'en sentais pas capable. Ça aurait été comme reconnaître l'impunité malsaine et dévastatrice de Valentin. Il était temps que l'un de nous lui rabatte son caquet. Alors, peu doué dans le maniement de belles phrases percutantes, je préférai l'appel de mes poings et me levai d'un bond.
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La Nostalgie de l'horizon marin
RomanceLeurs familles sont amies. Ils se détestent. La guerre couve entre eux. Lucile vous dirait que Mathieu est un insupportable enquiquineur qui ne mérite que mépris. Mathieu vous affirmerait qu'il n'aime rien tant qu'asticoter cette incorrigible peste...