Chapitre 35 - Mathieu

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La porte n'était pas verrouillée.

Un mauvais pressentiment m'étrilla la gorge. J'avançai dans l'entrée. Le mur me cachait en partie le salon et quand j'obtins une vue d'ensemble sur le séjour, je crus m'étouffer avec ma salive. Lucile, allongée de tout son long sur le canapé, lisait un livre. Ne me dites pas qu'elle reste ici ! pestai-je, déçu de m'être trompé dans mes spéculations.

— Tu ne rentres pas chez toi pour le week-end ? m'assurai-je tout de même avec appréhension.

— Je suis le fantôme de Lucile, répliqua-t-elle, sarcastique.

— Très drôle...

— Si ça te pose un problème, rien ne t'empêche de prendre la porte !

Bouche bée face à son aplomb, je restai muet et me pris de plein fouet le coussin qu'elle venait de balancer. Aussi puéril qu'elle, je le relançai avec plus de force. Lucile poussa un cri de surprise et tomba à terre en voulant l'esquiver. Son livre s'écrasa au sol. J'éclatai d'un rire franc.

Au même moment, la sonnette carillonna et j'en fus bien content car je me demandais si Lucile n'allait pas finir me manger tout cru pour m'être ouvertement ri d'elle.

— J'arrive ! criai-je aussitôt en détalant vers la porte.

C'était Jonathan. On se donna l'accolade. Alors qu'il posait son sac à terre, non loin de notre étalage en règle de chaussures, mon « affable » colocataire se planta au milieu du passage, bras croisés.

— Ce serait sympa de prévenir lorsque tu invites du monde, fit-elle remarquer, hargneuse.

— Je l'aurais fait si tu m'avais toi-même averti que tu restais à Brest, rétorquai-je, rusé.

— Si vous voulez, je peux vous donner un cours de communication, intervint Jonathan, l'air malicieux.

Lucile tourna la tête vers lui et se mit à le dévisager.

— Tu t'appelles comment ?

— Jonathan pour vous servir, gente damoiselle, répondit-il en exécutant une courbette.

Un début de sourire fleurit sur les lèvres de la jeune fille. Se prêtant au jeu, elle lui tendit le dos de sa main en déclinant son prénom. Jonathan lui fit un galant baise-main. Face à cette scène loufoque, je pouffai. La glace était brisée. Nous allions passer une agréable soirée ensemble.

Comme rien n'était prêt pour le dîner et que le match commencerait un peu après vingt-et-une heures, nous nous assignâmes chacun à une tâche, qui l'un le gratin de chou-fleur et pommes de terre copieusement garni de gruyère râpé, qui l'autre le couvert. Pendant ce temps, Lucile regardait le journal télévisé sur son ordinateur portable dans sa chambre ; elle nous rejoindrait ensuite avec son PC pour nous permettre de regarder ensemble le match.

— Dis donc, ta coloc ne semble pas très commode avec toi, murmura Jonathan à la faveur de son absence.

— Tu as remarqué, toi aussi ? fis-je, pince-sans-rire. C'est un spécimen rare qui déroge de la gent féminine. Elle tient plus du grizzli que de la colombe. Je te rassure, on s'y fait !

— Mmh... Tu le dis en blaguant mais sache que, dans la Grèce antique, les jeunes filles étaient soumises à un rite de passage, tout comme les jeunes hommes. Il n'est guère connu car il ne reste pas beaucoup de fragments qui en attestent mais il consistait, entre autres, à courir nue afin de quitter son aspect sauvage. En ce temps-là, les fillettes étaient associées à l'ourse. Ce qui tord le cou à toute l'imagerie de vierge docile et naïve distillée quelques siècles plus tard jusqu'à nos jours.

La Nostalgie de l'horizon marinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant