Chapitre 50 - Mathieu

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Complices dans la connerie humaine... Voilà une expression taillée sur-mesure pour notre tandem, songeai-je en avisant d'un œil circonspect le chantier en cours dans le séjour.

Seulement quelques jours s'étaient écoulés depuis que nous avions conclu cet accord, renouant avec nos bonnes vieilles habitudes, et déjà Lucile faisait étalage de son imagination saugrenue. Une idée lumineuse, selon elle, lui avait traversé l'esprit : transformer la partie salon en une immense cabane pour une durée indéterminée. Elle m'avait entraîné dans sa fantaisie.

Un drap était accroché au plafonnier, deux de ses coins bloqués par le canapé repoussé contre le mur et les deux autres tendus au-dessus d'un meuble par je ne sais quel système de son invention. La table basse avait été éjectée dans le couloir et les fauteuils contre les murs. Par-dessus le tapis, il y avait mon matelas – réquisitionné parce qu'il était à deux places – et ma couette.

— Tu comptes vraiment dormir là ? m'enquis-je, accoudé au comptoir de la cuisine.

— Évidement ! Ça va être génial ! Je vais inviter Jeanne-Indiane à passer quelques nuits ici. On en profitera pour bosser sur notre travail en commun.

— Et tu ne pouvais pas faire la cabane dans ta chambre ? Je vais dormir où, moi ? râlai-je.

— Elle est trop petite. Et si ta réticence ne tient qu'à ça, je te prête ma chambre ou... sinon... tu n'auras qu'à dormir avec nous. Il faut simplement ajouter mon matelas.

Je secouai la tête de droite à gauche, désespéré. Je me refusais à cette solution qui serait une torture. Rien qu'à la perspective que Lucile dorme si près de moi, j'en avais des bouffées de chaleur. Elle ne s'apercevait de rien, bien entendu, alors qu'elle était plutôt observatrice. Peut-être parce qu'elle n'en avait rien à faire de moi ou que l'écran de fumée était trop puissant. De nouveau, les interrogations et les « et si... » m'assiégèrent de toutes parts.

Malgré les affirmations d'Estelle, rien ne me garantissait que notre amitié bancale ne serait pas mise en péril si je finissais par prendre mon courage à deux mains. Je ne pourrais pas encaisser cette perte. Que deviendrait ma vie sans elle ? Amusant, non ? releva ma conscience. C'est pourtant toi qui voulais t'éloigner d'elle, entre autres, en venant étudier à Brest. Oh, je t'en prie, épargne-moi tes sermons, soupirai-je en mon for intérieur.

— Oh, tu m'écoutes, Côte fêlée ? s'agaça Lucile.

— M-hm. Tu disais ?

— Que tu pourrais m'inviter au restaurant.

Je sursautai en la regardant droit dans les yeux. Avais-je mal entendu ?

— Je blague, Nallès, rit-elle. Respire, tu es tout pâle. Plus sérieusement, je proposais de commander un truc à manger pour changer des plats fait maison.

— Comme tu veux.

— Sushis, pizzas ou Uber Eats ?

— N'importe.

Lucile fronça les sourcils.

— Dis donc, tu es maussade aujourd'hui. Qu'est-ce qui se passe ?

— La fatigue, éludai-je. Elle arrive quand ta copine au prénom ultra long ?

— Pas ce soir, en tout cas. Probablement demain. Et elle s'appelle Jeanne-Indiane.

— C'est bien ce que je disais, c'est trop long. Ça te dit qu'on l'appelle J-I ? On gagnerait en temps.

— Pourquoi pas mais pas devant elle. Qu'on écorche son nom, ça la rend susceptible. Comme je te l'ai dit un jour, elle y tient beaucoup.

— Pas chiante comme fille, ris-je en allant m'étendre sur mon matelas migrant.

La Nostalgie de l'horizon marinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant