Chapitre 1

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Devant la porte du bureau de son Directeur de publication, Luis fulminait, la colère l'avait envahi et il maudissait Monsieur Yvan Bello de lui avoir confié une telle mission...encore, une mission des plus détestables qu'est celle de faire le journaliste people. Il détestait l'idée de s'introduire dans la vie de personnes célèbres pour savoir ce qu'elles mangent le matin ou quelle est leur marque de slips préférée. Cet énième ordre de mission était pour lui des plus méprisants, lui qui avait pourtant tant de potentiel, il avait tout de même fait ses classes dans la plus prestigieuse des écoles de journalisme du pays, pour qui se prenait ce petit bout d'homme encore plus petit que son 1m65. Il avait une formation de journaliste d'investigation et, dans un pays comme celui-ci, il y avait tellement d'investigation à faire dans tous les domaines, dans tous les secteurs d'activité mais, M. Bello s'évertuait à lui confier la rubrique people, cette petite page voyeuriste et insipide qui, pensait Luis, n'élevait pas l'esprit, loin de là ! Pourquoi ne pas confier une telle rubrique à une jeune femme fraîche et disposée ou à ce dandy pédant de Bertrand Kembou qui se retrouverait mieux parmi les « people » au lieu de la lui donner à lui qui avait des allures de vieil inspecteur allemand ? se demandait le journaliste. S'il ne devait pas payer un loyer et d'autres charges personnelles, il y a longtemps qu'il aurait claqué la porte à cette feuille de chou qui, pour l'instant, ne le valorisait pas même si elle lui permettait tout de même de se faire les crocs dans ce milieu.

« Alors, Luis, ce sera qui cette fois ? Une chanteuse pour adolescente, un footballeur à la retraite et longtemps oublié ou un vieux ministre aigri ? » demanda la voix moqueuse de Bertrand qui passait par là et amusa toute la galerie.

Tout l'open-space avait le regard posé sur Luis qui sentait la colère s'intensifier dans sa poitrine. Il décida néanmoins de garder son calme, jeta un énième coup d'œil sur le nom de la personnalité qu'il devait interviewer et le leur cracha à la figure :

— Milan F. Luisdel ! J'interviewerai Milan F. Luisdel...

« Le célèbre entrepreneur ? » demanda une voix féminine excitée à sa gauche.

« On dit qu'il est multimilliardaire... » ajouta une autre en se rapprochant de Luis.

« Et personne ne sait rien de lui depuis qu'il s'est installé dans ce pays ! Il refuse toutes les interviews qui lui ont été proposées, bonne chance pour le convaincre cette fois ! Il est si mystérieux... »

« Quelle chance tu auras de pouvoir l'approcher et lui poser des questions ! Comme j'aimerais être à ta place, s'il accepte, bien entendu ! Il repousse effectivement tous les journalistes qui essaient d'obtenir de lui une interview depuis six ans » dit une autre femme.

« Il est si beau, si africain des îles et ce petit côté mystérieux qui le rend si attirant, miam miam, on en mangerait tout cru ! Ça doit être quelque chose de l'avoir près de soi sous les draps... » la rejoint une autre collègue les yeux plein d'étincelles et toute éhontée.

— Il n'a rien de si attirant, les filles, ce n'est qu'un homme riche, c'est tout ! Et puis, mystérieux pour moi veut dire bizarre, pervers sur les bords car, avec autant d'argent dans son compte en banque, on ne peut qu'être plein de bizarreries en tout genre ! Vous devriez vous méfier, termina Bertrand en s'éloignant.

« Ouuuh le jaloux aigri ! » lança l'une des femmes à l'endroit de Bertrand et elles se mirent toutes à rire avant de reprendre leurs postes tout en félicitant une dernière fois Luis qui les avait écoutés chacun avec beaucoup d'attention.

Luis était toujours debout devant tous ces postes, son ordre de mission serré dans sa main. Il regardait ce nom étrange mais, ne s'y attarda pas trop en se rappelant que son propre nom faisait tâche dans son entourage depuis son enfance. Il s'avança vers sa table et prit place devant son ordinateur en réalisant qu'effectivement, six années étaient passées depuis l'arrivée de cet homme dans le pays mais personne ne savait rien de lui ; il faisait des apparitions publiques sporadiques à des évènements caritatifs ou seulement dans ses chantiers. Il avait d'ailleurs plusieurs chantiers titanesques dans toutes les 10 provinces du pays parmi lesquels des immeubles futuristes à trente étages, des hôtels, des quartiers entiers et, sa plus grande réussite est cet immeuble au sommet phallique culminant à près de 200 mètres de hauteur dans lequel il a lui-même élu domicile et baptisée Tour Luisdel. Chaque fois, qu'il passait par là, Luis avait toujours ressenti quelque chose de particulier mais pourtant inexplicable réalisa-t-il ; cela l'amena à se poser des questions sur le côté mystérieux dont parlait Bertrand ce qui éveilla sa curiosité et l'encouragea enfin à voir cette mission autrement que comme une corvée de plus. Il se racla la gorge et se lança dans les recherches les plus élémentaires sur le net au sujet de ce jeune milliardaire venu des îles et dont on ne connaissait pas grand-chose. A part quelques photos prises de loin et puis de ridicules interviews de même pas une minute lors des inaugurations de ses différents bâtiments, il ne trouva rien de consistant, aucune véritable information sur sa famille ; il étendit ses recherches plus loin, jusqu'en Haïti qui était le pays d'origine de Luisdel mais, là encore, il se heurta à un mur ou plutôt un vide qu'il n'arriva ni à dépasser ni à transcender.

S.A.R MILAN F. LUISDELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant