Mr. & Mrs. Spike (Tome II)

Mission 21 : Suspendre le temps

Une fumée tortueuse s'élève dans les airs. Toxique, elle emplit mes poumons, les noircit, les putréfie. Elle m'étouffe et m'apaise à la fois.

En un clignement de paupières, elle est balayée par le vent frais qui tente de se frayer un chemin à travers mon manteau blanc ouvert. Je resserre les pans autour de moi.

La matinée semble s'étirer à l'infini. J'en suis déjà à ma deuxième cigarette de la journée.

On combat sa frustration comme on peut...

Et pour cause, depuis notre dispute dans le couloir, je n'ai plus de nouvelles d'Erik. Silence radio.

Je ne sais même pas si j'en veux. Comment pourrait-il calmer les battements de mon cœur, qui s'emballe dès que j'imagine ce qui a pu se passer entre Aimée et lui pendant nos deux mois de séparation ? Que pourrait-il me dire pour faire taire cette douleur qui me broie les entrailles ?

De toute façon, soyons honnêtes, je ne croirais probablement aucun des mots qui sortiraient de sa bouche. Je suis encore trop blessée par sa manière de la défendre pour ça. Une fumée aussi dangereuse que celle que j'expire embrume mon esprit.

Ainsi, malgré sa morosité, Scott a pris le relais derrière l'oreillette. Mais lui aussi n'est pas très bavard. Alors, je reste seule devant les locaux de ViSion, à étudier les gens autour de moi.

Quelques employés en pause lâchent des rires gras entre deux bouffées de cigarettes. D'autres femmes aussi solitaires que moi passent des appels dans leur coin. Parfois, certains passants s'arrêtent, juste pour admirer la hauteur de la tour, puis reprennent leur vie.

Il y a des moments comme celui-ci où le temps semble suspendu.

Au fond, n'est-il pas toujours suspendu à un instant ? une émotion ? un choix ?

Dans la majorité des cas, on ne peut deviner quel est cet élément déterminant susceptible de faire pencher la balance. Dans mon cas, je sais. Je sais que ma vie a basculé hier. Que je suis dans une période de transition, annonciatrice de changements majeurs.

En une journée, j'ai renoué avec le passé. Je me suis confrontée à Spencer. J'ai compris à quel jeu se prêtait Victor Stephen. Je me suis abandonnée à Erik. Trois faisceaux qui semblent à présent converger vers un seul point : mon avenir.

C'est comme si le train était en marche depuis des mois, des années et que je venais seulement de me raccrocher à ses wagons.

À travers un nouveau nuage de fumée, j'aperçois soudain un homme et une femme qui se tiennent la main avec un sourire éclatant et je ne peux m'empêcher de repenser à Erik.

C'est ainsi qu'est censé être l'amour, non ? De la joie, de la tendresse, de la force. Il paraît que l'amour donne des ailes, qu'il rend meilleur.

En fait, je crois que la définition est propre à chacun.

Mon amour pour Erik ressemble davantage à un feu... Un feu inextinguible, qui ravage tout sur son passage, qui brûle à l'intérieur, qui consume la moindre pensée... Un feu qui réchauffe, qui réconforte, qui nous empêche de nous sentir seuls.

Depuis mon réveil, je ne peux m'empêcher de me demander : sommes-nous allés trop vite ? Aurions-nous dû prendre le temps de parler et de réapprendre à nous connaître avant de nous offrir l'un à l'autre ?

Je croyais que nous étions prêts. Je me trompais certainement.

Sans pouvoir m'en empêcher, je colle mon téléphone à mon oreille et pose à Scott la question qui me tourmente :

— Où est-il ?

Pourquoi ne me parle-t-il pas ? Pourquoi ne fait-il pas attention à moi ?

Ce dernier soupire. Il sait de qui je parle.