Mission 9 : Me méfier de toi

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Comme tous les matins à cette même heure depuis une semaine, je pars à la rencontre de M. Pickham pour qu'il me confie mes missions pour la journée.

Une semaine... Il n'en a pas fallu autant pour que je me prenne au jeu de cette nouvelle identité.

Il faut dire que la vie de Rose me plaît. Elle travaille pour une des plus grandes boîtes de médias de la ville, elle a un petit ami, un patron, des amis, des collègues. Tout ce qu'Amanda n'a jamais eu et n'oserait sans doute pas rêver.

À peine ai-je posé le pied dans son bureau nimbé d'une douce lueur orangée que mon employeur se redresse, abandonnant les feuilles qu'il a sous les yeux.

— Tiens, Rose ! Vous tombez bien ! s'exclame-t-il.

C'est bizarre... Je ne tombe jamais « bien », comme il dit.

Je referme la porte lentement, intriguée par son enthousiasme soudain. Il est rarement aussi heureux de me voir.

Sans se départir de son air jovial, il m'en donne la raison.

— M. Stephen demande à vous voir pour préparer l'interview du député Morris.

Je hausse les sourcils.

Je ne m'attendais pas à ce que ces mots sortent de sa bouche. Je désespérais presque de l'entendre les prononcer un jour.

Et pour cause : après avoir laissé ce mot sur mon bureau au sujet des trois S, le grand patron a mystérieusement disparu en prétextant des rendez-vous hors de la ville. Il a déserté sa propre entreprise du jour au lendemain, comme si la perspective d'une confrontation avec moi était plus effrayante que celle de susciter des interrogations au sein de son empire.

J'ai cru un instant qu'il était parti trouver le patron de Silence et LiSten pour comploter ma perte dans un endroit tenu secret. Si ça avait été le cas, nous aurions pu suivre une trace de leurs échanges, obtenir un indice sur leur localisation. Scott a mis en place une surveillance de ses e-mails et de ses comptes, comme il est doué en informatique. Sauf que nous n'avons rien trouvé de compromettant. Preuve qu'il n'est visiblement pas aussi stupide que je le voudrais.

Il ne me restait donc plus qu'une solution : prendre mon mal en patience. Jusqu'à aujourd'hui.

Les questions de M. Pickham m'arrachent à ma surprise.

— Vous avez des suggestions d'hôtel et de restaurant à lui proposer ? Vous avez établi le planning ?

— J'ai déjà commencé...

Heureusement, il ne semble pas remarquer mon hésitation. Contrairement à ce qu'il s'imagine, je doute que M. Stephen souhaite vraiment parler avec moi de cette interview. Je suis même prête à parier qu'il ne sera pas question que de Spencer.

— Parfait, conclut mon interlocuteur en se replongeant dans ses dossiers. Ensuite, vous reviendrez me voir. J'ai une affaire urgente à régler, et vous allez m'y aider.

L'aider ? C'est bien la première fois qu'il utilise ce terme-là pour décrire ce que je fais. De toute évidence, on progresse.

Ce qui fait naître un petit sourire sur mes lèvres.

— Entendu, monsieur.

Il lisse son sempiternel costume bleu avant de me désigner la porte, l'esprit déjà accaparé par le travail qui l'attend.

Je n'en prends pas ombrage. Au fil des jours, j'ai appris à le connaître. M. Pickham est un homme qui ne s'encombre pas de politesses. Il est du genre expéditif, franc, exigeant presque malgré lui. Dans son cas, je considère que ce sont des qualités. Il a quelque peu gagné mon estime.

Mr. & Mrs. Spike (Tome II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant