Mission 16 : Me balader dans un parc avec toi

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— Putain, mon ange, qu'est-ce que tu fais ici ?

Au son de cette voix grave, je relève la tête, comme au sortir d'un mauvais songe.

Depuis combien de temps suis-je là, sur ce banc, au milieu d'un parc, à la vue de tous ? Je n'en ai aucune idée. Mon esprit est encore embrumé, mon corps, plongé dans une profonde léthargie. Je me suis laissé piéger par mes pensées, au point que la réalité a fini par m'échapper. Prisonnière de mon chagrin, j'ai oublié le danger.

Pourtant, il est bel et bien là.

Des mains saisissent brusquement mes joues. Mon regard se plante dans celui, inquiet, d'Erik. Je m'en détourne aussitôt pour me concentrer sur les bandes d'amis qui rigolent sur le chemin du lycée et les joggeurs qui s'autorisent une dernière petite foulée avant de se rendre au travail.

Pourrai-je un jour prochain me balader insouciamment dans un parc ? Ça sonne de plus en plus comme un doux rêve...

— Hé, parle-moi ! Qu'est-ce qui ne va pas ? m'interroge l'assassin en pressant mon visage entre ses larges paumes pour me ramener à lui.

Je secoue la tête, incapable de prononcer le moindre mot.

Qu'est-ce qui ne va pas ? La question, c'est plutôt : comment est-ce que ça pourrait aller alors que, le même jour, j'ai retrouvé et perdu mon cousin ? À peine ai-je eu le temps de me rappeler son existence qu'il n'était déjà plus qu'un lointain souvenir, une ombre de mon passé.

L'agence Silence ne s'est pas contenté de me priver de ma liberté, puis de mon ami. Ils m'ont ravi un membre de ma famille. Le petit garçon aux cheveux clairs et aux yeux rieurs dont j'étais proche quand je n'étais encore qu'une enfant innocente qui croyait aux contes de fées et aux forces du bien.

Cette époque de ma vie n'a laissé que peu de traces en moi. Juste celle d'un été ensemble, au bord d'un lac. Pendant que ma mère et mon oncle s'occupaient, mon cousin et moi nous enfoncions dans la forêt, à la recherche de nouveaux insectes à capturer ou de nouvelles potions à concocter. Puis venait l'heure du goûter. Quelques carreaux de chocolat dans un petit pain. De quoi laisser de sacrées taches sur nos vêtements et nos frimousses.

C'est aujourd'hui tout ce qu'il me reste de ce cousin avec lequel je m'amusais. Des rires, l'odeur du chocolat, la caresse du soleil et le vert éclatant, mousseux de la forêt. Le même que je contemple dans les yeux qui me font face.

— Bordel, Amanda, ça fait une heure que je te cherche ! Tu es partie sans rien dire et tu as éteint l'oreillette. Tu imagines comme j'étais inquiet ? Je pensais que d'autres t'avaient déjà mis la main dessus ! s'exclame-t-il.

Une heure...

Ça fait donc à peu près soixante minutes que Victor Stephen m'a lancé cette bombe dans son bureau, avant d'attraper mon poignet pour me forcer à lui montrer les marques sur mes bras. Autant de temps qu'il a promis de réaliser mon souhait d'en finir la prochaine fois que j'essaierais de me faire du mal.

Je dois dire que la menace est relativement efficace, puisque les frissons qu'elle fait naître suffisent à me dissuader d'approcher à nouveau une quelconque lame de ma peau. Résistera-t-elle face au besoin impérieux de souffrir qui ne tardera pas à refaire son apparition ? J'espère...

Dans un soupir, je recule pour me soustraire à l'emprise de l'assassin.

— J'imagine que ça ne devrait plus tarder, maintenant...

— C'est ce que tu souhaites, qu'on t'attrape ? s'enquiert Erik. C'est pour ça que tu attends là ?

Il n'y a aucun jugement dans sa voix, il cherche juste à comprendre.

Mr. & Mrs. Spike (Tome II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant