Mission 36 : Te fuir

138 11 11
                                    

Trois jours.

Voilà trois jours qu'Erik ne m'adresse plus la parole, hormis quand c'est strictement nécessaire.

Trois jours que nous dormons dans des chambres séparées et que je peine à trouver le sommeil sans la chaleur de ses bras.

Quelque chose s'est brisé. La corde qui nous liait s'est rompue.

Je voudrais bien dire que je m'attendais à devoir, un jour ou l'autre, payer pour avoir embrassé Calvin, mais ce n'est pas le cas. Qui aurait pu prédire que mon ancien patron viendrait sonner à ma porte au bout de trois mois pour me demander de poursuivre ma vengeance ? Que ce terrible secret que nous partagions finirait inévitablement par être révélé ?

Comme on dit, à trop jouer avec le feu...

Au moment où j'arrive au pied des escaliers et où j'avise Erik dans le fauteuil, devant son ordinateur, je soupire. Il ne me regarde même pas. Et moi, je me fais discrète, écrasée par le poids de la culpabilité.

Je comprends qu'il ait besoin de temps pour digérer cette nouvelle trahison... En est-ce vraiment une ? J'ai, en tout cas, l'impression que c'est la goutte de trop. La goutte de sang vicié que son cœur ne peut pas accepter, la dernière larme avant que son âme ne s'assèche définitivement.

Je repense alors à tout ce qu'il a subi depuis notre rencontre. Mon adultère avec Scott. Ma fuite. L'acharnement de ma famille. Et plus j'y songe, plus je m'enfonce. Mes mains tremblent, rattrapées par le besoin de s'allumer une cigarette. Mais je ne peux pas.

Je ne peux pas fumer, ni boire, ni baiser, ni m'ouvrir les veines. Je ne peux même pas dire à Erik combien je l'aime, combien je regrette, parce qu'il refuse de m'écouter. Je ne peux que souffrir en silence, en espérant ne pas franchir une limite dont je ne reviendrai pas.

On dirait que c'est la fin.

Avec ce constat surgissent nécessairement d'autres interrogations. Erik reste-t-il uniquement pour le bébé ? A-t-il l'intention de l'élever de son côté après sa naissance ? Ou va-t-il nous abandonner ?

J'ai l'esprit tellement anesthésié, par la douleur et la peur de basculer, que c'est à peine si j'arrive à réfléchir aux solutions qui s'offriraient à moi dans ces cas-là.

En ouvrant la porte du réfrigérateur, je réalise qu'il est presque vide. Et j'ai désespérément envie de... citrons.

Est-ce que Petite Graine aimerait ça ?

Un faible sourire se bat pour étirer mes lèvres.

— Je vais aller faire les courses, informé-je Erik d'une voix hésitante.

Ça me fera du bien de sortir un peu de cette maison oppressante, de changer d'air.

Je l'entends soudain se lever. Guidée par le besoin désespéré d'attirer son attention, je l'observe tandis qu'il abandonne son ordinateur sur la table basse pour me rejoindre.

— Je t'accompagne, lance-t-il d'une voix neutre avant de saisir les clés de voiture.

Il franchit la porte sans m'attendre. Je soupire une nouvelle fois, ravalant la tristesse que cette situation fait naître en moi.

C'est ma faute si nous en sommes là, me répété-je. J'ai beau me le rentrer dans la tête, ça ne rend pas mon désespoir moins grand.

Heureusement, la radio comble le silence pesant dans l'habitacle. J'écoute distraitement les sons pop qui s'en échappent en gardant les yeux rivés sur le paysage derrière la vitre. Nous avons réemménagé à Scarlet Hollow il y a trois mois, et je m'y sens bien. Cette ville dégage quelque chose de rassurant, malgré tout ce qui s'y est produit. J'aime l'impression de perfection et d'ordre qu'elle reflète.

Mr. & Mrs. Spike (Tome II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant