Chapitre 1

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Hajime !

Une légère poussée d'adrénaline me parcourt lorsque ce petit mot se répercute sous mon crâne, donnant le top départ pour mettre en marche chacun de mes muscles. Observer, analyser et agir, c'est le schéma que je suis, depuis toutes ces années sur le tatami lors des compétitions. Mon adversaire a son bras droit accessible plutôt facilement, malgré une position de déséquilibre arrière évident. Il suffit que je fasse une fausse attaque sur l'arrière, pour ensuite l'emmener sur mon spécial. C'est maintenant le temps d'agir, j'entends de manière lointaine mon coach qui me crie tout une flopée d'informations. Le pauvre s'il savait qu'il s'abime les cordes vocales pour rien, mon esprit de contradictions remporte bien évidemment, toujours le combat contre la voie de la sagesse.

La manche de son bras droit entre mes doigts, j'insuffle une impulsion pour que comme prévu elle vienne reporter son poids du corps sur l'avant, et en une fraction de seconde mon bras droit se place sur le col de son kimono, l'attirant vers moi. Je lance Harai Goshi, et je sais que c'est bon lorsque le poids de mon adversaire passe sur mon flanc avant de se retrouver au sol. Je suis prête à continuer au sol mais le bras de l'arbitre se lève bien haut, tout en déclarant Ippon. On se relève, remettant correctement nos ceintures et nos kimonos avant que l'arbitre me déclare vainqueur et que l'on se salue, afin de laisser la place aux prochains combattants de la catégorie suivante.

- Bravo Emma, tes mains valent de nouveau de l'or ! plaisante James.

Il est normalement commun, lors d'une première place en championnat, qu'en tant que vainqueur on saute dans les bras de l'entraîneur, qui a su nous hisser à ce niveau. Mais James sait que cela n'arrivera jamais avec moi. Son enthousiasme débordant contraste avec la neutralité de mon comportement. Je ne suis pas blasée, car cela irait clairement à l'encontre du code moral du judo, mais mes émotions préfèrent rester dans l'intimité de mes pensées. Je souris tout de même, pour ne pas passer pour une personne encore plus désagréable qu'il n'y paraît.

Une fois la cérémonie des remises de médailles terminée, je file sous la douche des vestiaires pour en ressortir le plus rapidement possible et rejoindre la seule personne qui est venue me soutenir, car c'est la seule et unique personne qui a le droit d'entrer dans mon cercle, ma mère. Lorsque je la rejoins dans les gradins, elle ne peut s'empêcher de me faire un énorme câlin, en me répétant une bonne dizaine de fois qu'elle est vraiment fière de moi. Même du haut de mes vingt ans, cette phrase arrive à réchauffer temporairement mon âme, dont les parois semblent bloquées dans un givre sans fin.

- Tu ne lui as laissé aucune chance à la dernière, mon poussin ! s'exclame-t-elle, assez fort pour que le rang devant étouffe un rire.

- Le judo c'est autant de l'analyse que du combat. On va manger ? Je crève la dalle.

- Emma, voyons ! s'offusque ma mère.

- Pardon, mon ventre cri famine !

Nous rigolons toutes les deux légèrement, ma mère secouant la tête de gauche à droite, dépitée devant le manque de sérieux de sa fille sur ce genre de réflexions. Elle a toujours fait en sorte que mon langage et ma tenue dans la société soient irréprochables. Ce qui est le cas, mais en sa présence je relâche tous ces faux-semblants et c'est devenu un jeu de mon côté de la titiller. Par contre elle n'a jamais réussi à me rendre sociable et encore moins à me faire aimer les gens.

Lorsque l'on s'installe sur la petite table du restaurant qui se trouve dans la ville voisine, au gymnase qui accueillait la compétition, le visage de ma mère n'a plus une once de joie. Mes muscles se crispent comprenant que le répit n'a été que d'une courte durée cette fois-ci.

- Ma chérie, je suis déso...

- Laisse-moi deviner, on part où cette fois ? En Alaska, au moins là-bas , on ne risquerait rien, ironisai-je.

Sans finOù les histoires vivent. Découvrez maintenant