Chapitre 9

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PDV EMMA

La journée du lundi est la plus harassante au travail, le réassort étant plus important après un week-end sans livraison. J'ai été surprise de voir Matthew ce matin, et un peu gênée. Il est évident que mon comportement d'hier l'a mis très mal à l'aise, et le voir filer rapidement en me voyant, fait enfler en moi une petite pointe de culpabilité. Mais même s'il paraît vraiment sympathique, avoir des relations sociales quand on fuit la vie, est la dernière des choses à faire. Car les gens veulent apprendre à te connaitre, et te posent des questions auxquelles tu ne peux pas répondre, au risque qu'ils comprennent. Je prends déjà un risque en participant à des compétitions de judo, mon nom et prénom pouvant ressortir dans des articles. Mais sans le judo, il n'y aurait même plus d'intérêt de se cacher de qui que ce soit, étant déjà morte de l'intérieur.

- Hey, miss l'employée du mois, tu sais que tu peux m'en laisser un peu pour ce soir, je vais m'ennuyer ferme sinon ! plaisante Tom, en arrivant.

En regardant la pile de cartons, je me rends compte qu'effectivement il ne reste plus grand-chose à déballer et mettre en rayon. Pour ne plus penser, mon corps s'active toujours beaucoup, préférant m'épuiser physiquement pour camoufler la tristesse de mes pensées. Après un petit sourire contrit dans sa direction, ne sachant pas quoi répondre, je me redresse pour aller me changer et retrouver la sécurité de mon appartement.

En sortant de l'épicerie, la fraîcheur de l'air caresse sans douceur mon visage. L'hiver s'installe à New-York et j'espère que la neige fera rapidement son apparition dans les rues de la ville. Que le brouhaha incessant soit remplacé par le silence apaisant de ce manteau neigeux, recouvrant les moindres parcelles d'horreurs qui nous entourent.

En arrivant dans l'appartement, ma mère est toujours en télétravail en pleine réunion. Et comme à chaque fois que c'est le cas, je me donne pour mission de lui faire esquisser un large sourire. Après une dizaine de grimaces faites, la tête posée juste au-dessus de son écran, ma victoire est sans appel lorsqu'elle manque de s'étouffer de rire, coupant in extremis son micro et sa caméra. Une fois dans ma chambre pour quand même laisser ma mère finir sa visio, j'enfile un pull large pour m'emmitoufler dedans, bien au chaud.

- Emma, mon poussin, tu peux venir deux petites minutes, s'il te plaît ?

Rien qu'à l'intonation de sa voix, il est presque certain que quelque chose chiffonne ma mère, et ce n'est jamais bon signe. Lorsque je la rejoins dans le salon, son visage oscille entre l'inquiétude et une certaine excitation.

- Mon poussin, c'est un peu en dernière minute, mais le travail organise un séminaire à partir de demain jusqu'à jeudi. Et mon chef veut absolument que j'y sois, afin que je puisse m'intégrer totalement dans l'entreprise.

- Mais quel trou du..

- Emma !

- Je n'ai pas de synonyme moins vulgaire qui me vienne, désolée !

- J'ai bien essayé de lui dire que j'avais une enfant à charge, mais vu ton âge il ne m'a pas trouvé crédible, plaisante-t-elle.

- Ha Ha Ha, très drôle, bougonnai-je, pour la forme.

Bien qu'elle essaye de faire de l'humour, l'angoisse de me laisser seule ronge son visage. Encore une fois, malgré qu'il ne soit plus physiquement dans nos vies, il arrive à en tirer les ficelles, insinuant la peur dans des évènements, qui ne devraient être qu'un bon moment à passer. Mes trapèzes sont maintenant aussi durs que du béton, mon corps absorbant toute la colère de mes pensées devant cette nouvelle discussion, qui n'aurait jamais dû exister. Il est hors de question qu'il gagne.

- Amuse-toi bien maman, ne t'inquiète pas pour moi, pizza, judo et boulot seront mes seules activités, en attendant que tu reviennes, pour me faire un résumé détaillé de tous tes nouveaux collègues !

Sans finOù les histoires vivent. Découvrez maintenant