Chapitre 10

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En pénétrant dans l'appartement de Matthew, la luminosité qui émane des quatres bougies posées sur le buffet dans le salon, fait considérablement baisser mon rythme cardiaque. Je suis rassurée de ne pas me retrouver dans la pénombre avec un homme dont je ne connais finalement pas grand chose.
C'est la peur qui a accepté de le suivre dans son appartement. Elle s'immisce sournoisement en moi, dès qu'un élément échappe à mon contrôle. Je suis incapable de la faire taire. Lorsqu'on a connu la terreur au point de voir la mort en face, quelque chose en soi se brise à jamais, ne permettant plus de rationaliser ce poison qui s'écoule violemment dans ses veines.
- Bon, j'espère que tu aimes les pepperoni !
La voix forte de Matthew me sort de mes pensées.
- Oui parfait.
Pendant qu'il s'affaire à découper la pizza dans son carton, je ne peux m'empêcher de regarder un peu de partout autour de moi. La lueur chaude des flammes des bougies donnent un aspect très cosy à cet appartement, dont la décoration est très soignée. L'un des murs accueille un très beau tableau, représentant un paysage totalement enneigé, où le ciel oscille entre de magnifiques couleurs pastel. La peinture parvient à retranscrire avec justesse, la sensation de plénitude que l'on ressent dans un paysage recouvert de son manteau blanc. Ce silence, qu'engendre la neige, comme si chaque être vivant se stoppait pour apprécier sa beauté, n'a rien à voir avec le silence de son antonyme, ce noir qui nous plonge dans l'horreur, exacerbant le pire.
Alors que mon regard se pose sur la multitude de petites plantes qui parsèment la pièce, une pointe d'envie grandit peu à peu, pour prendre rapidement une grande place. Moi qui ne défait jamais mes valises, refusant de m'installer un temps soit peu afin de ne pas m'attacher au lieu qui n'est qu'éphémère, je me surprends à vouloir également avoir des plantes qui égaye notre appartement.
Matthew me rejoint sur le canapé en déposant le carton de la pizza sur la table basse. Il a aussi rapatrié une des bougies histoire qu'on puisse voir ce que l'on mange. Dans les films ça pourrait presque s'apparenter à un rencard, mais heureusement que nous sommes dans la réalité et qu'il n'y a de romantique que la petite flamme qui danse sans discontinuer devant nous.
- Bon appetit Emma !
Il accompagne sa phrase, d'un geste mal assuré pour récupérer sa part dans le carton. Il me faut plusieurs secondes pour comprendre qu'il a seulement coupé en deux la pizza, et qu'il vient de plier sa part pour croquer dedans à pleines dents.
- Bon appetit Matthew.
Je ne peux pas manger une demi pizza en une seule part donc j'essaie discrètement de la couper en deux mais bien évidemment, à moitié dans le noir l'exercice est un peu plus périlleux que prévu et lorsque j'y parviens enfin, une rondelle de pepperoni se fait la malle par terre. Je me penche pour tenter de récupérer à tâton l'évadée, mais visiblement Matthew à la même idée que moi, nos deux crânes se télescopant sans douceur.
- Oh désolée Matthew, ça va ?
- Oui t'inquiète j'ai la tête dure, et toi ?plaisante-t-il.
- ça va aussi, j'ai connu...
Ma bouche se ferme in extremis, pour bloquer la bêtise monumentale que j'allais lui avouer sans aucune raison. Ses yeux sont braqués sur moi, attendant une suite qui ne viendra pas. La lueur qui s'inscrit dans ses iris n'a rien à voir avec la flamme qui ondule toujours sur la table. Non, ce qui se dégage de son regard m'effraie, car il s'agit de compréhension.
- Enfin je veux dire qu'au judo parfois on peut se faire bien plus mal !
Ma tentative de rattrapage, est aussi utile que la paire d'escarpin que ma mère m'avait offert un jour au cas où je veuilles faire une sortie entre amis.
Ma curiosité est titillée par le fait qu'à plusieurs reprises Matthew ait semblé particulièrement alerte sur le sujet des violences. Bien évidemment, je sais que je ne suis malheureusement pas la seule à subir ce genre de monstruosité qui vous brise, mais il a l'air si normal d'apparence que je me demande pourquoi moi je suis totalement bousillée.
En tentant de m'éloigner le plus possible de la seule source de lumière pouvant trahir le cheminement de mes pensées, je dépose ma main sur le canapé pour me repousser au fond. Ce n'est qu'au bout de quelques trop longues secondes que je me rends compte que ce n'est pas du tissu sous ma paume mais bien la peau de la main de mon voisin.
Mon rythme cardiaque décide de concurrencer la vitesse de Usain bolt, paralysant l'ensemble de mes facultés cognitives. Et c'est ainsi que lorsque l'éléctricité refait son apparition, j'emprisonne toujours sa main et que je n'ai meme pas la présence d'esprit de la retirer immédiatemment.
Le visage de Matthew s'apparente à un savant mélange entre incompréhension et gênance, malgré le petit sourire qui étire maintenant ses lèvres.
- Tu sais Emma, parfois parler peut être bénéfique pour se libérer de son passé.
- Ah bon ? Ça a le pouvoir de le changer ?
Ma main se désolidarise enfin de la sienne.
- Non, mais ça...
- Alors ça ne sert à rien. bon merci pour ton accueil et la pizza, je te revaudrai ça.
Je me relève d'un bond, fuyant comme d'habitude. Il me salue également, perplexe par ma propension à prendre la poudre d'escampette à la moindre question sur mon passé.
Une fois la porte de mon appartement refermée, je me fustige d'être aussi bête. C'est la première fois qu'une personne parvient à engager une telle proximité avec moi. Et ça ne me plaît absolument pas, car cela embrouille mon esprit alors que mon but est clair, personne ne doit graviter autour de moi, afin de ne pas lui faire courir le moindre risque.
Le souci c'est que Matthew est mon voisin et mon prof de judo, c'est donc impossible de simplement faire la morte comme j'ai pu faire dans le passé avec des personnes qui malgré mon manque évident d'enthousiasme à nouer des liens avec eux, tentait tout de même le coup.
Les émotions de la journée, ont totalement épuisé mes reserves d'énergies, donc sans attendre je me glisse sous la couette en vissant mes écouteurs sur les oreilles.

Sans finOù les histoires vivent. Découvrez maintenant