Mon esprit se déconnecte peu à peu, pendant que les battements de mon cœur ralentissent inexorablement, figeant chacun de mes muscles. Ma mère se détache doucement, pour plonger son regard dans le mien, mais mes yeux ne reflètent que le néant dans lequel mon cerveau vient de me plonger. Une des psychiatres que j'ai vus, m'a expliqué qu'il s'agit de l'état de sidération. Dans un souci de survie, les fusibles de mon circuit électrique sautent un à un pour me plonger dans une obscurité protectrice.
Il est sorti.
Combien de jours, mois avant qu'il apparaisse de nouveau dans notre existence ? Existe-t-on encore vraiment, sachant que chaque seconde qui passent sont empreintes de sa présence et de sa menace ? Et s'il nous trouve, qu'est-ce qui va...
- Mon poussin, regarde-moi s'il te plaît, murmure ma mère, pour me stopper dans cette spirale sans fin.
Son sourire réussi à légèrement réanimer mon esprit, comme toujours. Je le lui rends en m'interdisant de lui infliger ce dédale de peur, qui m'envahit dès que ce il refait surface.
- On est parti au bon moment, il y a très peu de chance qu'il vienne nous chercher ici, d'accord ?
Sa voix se veut rassurante, mais ni elle ni moi ne croyons aux paroles qui viennent de s'échapper de ses lèvres. Le fantôme de mes quinze ans plane au-dessus de nous pour nous rappeler qu'aucun lieu ne peut nous garantir la sécurité, auquel on aspire avec ferveur.
- D'accord...
- Bon ce soir on se commande des sushi, ça te va mon poussin ?
D'un petit hochement de tête j'acquiesce avant d'aller me réfugier dans ma chambre, incapable d'enfiler le costume de la fille forte. Ce déguisement est grossier sur moi, n'ayant absolument pas les épaules pour cela. Allongée sur mon lit avec mes écouteurs, je laisse les minutes s'égrener sans réussir à garder la tête hors de l'eau. C'est seulement lorsque ma mère entre dans la chambre, un masque à l'argile sur le visage, pour me demander d'aller récupérer notre commande en bas de l'immeuble, que mon visage revêt le sien avec difficulté. Sourire pour ne pas lui faire porter le poids de la culpabilité qui lui pèse déjà bien assez.
Une fois contre le muret de notre immeuble, la fraîcheur de la soirée me fait frissonner. Mon regard se perd à l'horizon, où les milliers de lumières tentent d'illuminer, sans succès, les parois de tout mon être. Je déteste me sentir comme ça, l'impression de tomber dans un puits sans fond, réussissant parfois à me donner du répit dans cette mise en abîme, en m'accrochant à certaines aspérités des parois, mais lâchant toujours prises à un moment donné pour continuer cette chute sans fin.
Oh non ! J'aperçois au loin le voisin, tout sourire. Je n'ai rien contre lui, mais ce soir je n'ai pas la force d'avoir le moindre échange avec un autre humain, autre que ma mère et le livreur pour les politesses rudimentaires. Bêtement, mes yeux se ferment lorsqu'il n'est plus très loin, mon esprit croyant que cette technique, utilisée enfant pour paraître invisible, peut encore marcher.
- Tu sais que ça ne fonctionne pas comme technique ? s'amuse-t-il, en s'arrêtant à mon niveau.
J'aurai gardé les yeux ouverts, il m'aurait certainement juste dit bonsoir comme tout le monde. D'ailleurs les siens sont braqués sur moi, cherchant visiblement quelque chose dans mon regard.
- Je...Non... en fait je récitais le code moral.
Ridicule, c'est clairement ce que je dois avoir l'air à ses yeux, en me cachant constamment derrière la seule idée qui m'apaise, lorsque je suis mal à l'aise. Parler de judo est la seule chose pour laquelle je n'éprouve aucune difficulté. Ses yeux se plissent légèrement, ne s'attendant certainement pas à cette réponse.
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Sans fin
RomanceDepuis ses dix ans, Emma suit sa mère à travers de multiples déménagements, pour fuir. Elle a appris à ne pas s'attacher. Pourtant en atterrissant à New-york, ville bien trop grande pour cette solitaire, il se pourrait que la vie décide pour elles...