Chapitre 23

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pdv Emma

Le premier coup de ciseaux me donne l'impression de m'éloigner encore un peu plus de celle qui me manque, à chaque seconde que la vie m'impose. Dans le miroir de la salle de bain de cette chambre d'hôtel, la silhouette qu'il reflète est méconnaissable. Mon cœur se serre en donnant le dernier coup de ciseaux qui réduit la longueur de mes cheveux à un carré long m'arrivant aux épaules. Ma mère adorait ma chevelure dorée, qui m'arrivait à la cambrure de mes reins. Je pose la coloration, achetée un peu plus tôt au supermarché, pour que ce soir, comme tout mon être, ils soient aux couleurs de l'obscurité.

Mon regard ne parvient pas à se défaire de ce visage qui semble dénué d'âme. La larme qui s'écrase sur ma joue ne devrait pas exister. Je l'essuie rageusement, pour ne pas augmenter encore un peu plus cette colère qui enfle en moi. Celle contre le monstre qui m'a enlevé ma mère, se télescope maintenant à celle contre moi-même.

Je me déteste. Je déteste l'idée d'avoir pu détruire l'amitié entre Lucas et Matthew, pour servir mes intérêts. Mais quels intérêts ? Il n'a pas fallu plus de quelques heures pour qu'il soit déjà dans les bras de sa soi-disant amie. Quelle conne ! J'avais juste à attendre qu'il réalise que je n'étais finalement rien à ses yeux, au lieu de lui faire croire que j'avais couché avec son meilleur ami.

Mon plan a parfaitement marché, et je devrai m'en réjouir. Je l'ai éloigné de moi, pour ne pas qu'il risque sa vie dans ma quête de vengeance. Pourtant, j'ai mal à en crever. Son regard lorsqu'il m'a vu sortir de la chambre, s'est imprimé sans douceur dans ma mémoire. Une infime partie de moi aurait voulu qu'il comprenne, tout de suite, que c'était une stupide mise en scène. J'ai esperé, l'espace d'un instant, que je sois réellement son évidence et qu'il trouve ridicule ma vaine tentative de le détourner de moi.

Au lieu de ça, il m'a rappelé brutalement pourquoi s'attacher aux autres peut être dangereux. Voir Ellie prête à l'embrasser a brisé cette illusion naissante. J'ai voulu jouer avec les apparences, et c'est finalement moi qui me suis pris la vérité en pleine face.

Une fois mes cheveux secs, je ressors de la petite pièce pour aller me glisser dans le lit, en vissant mes écouteurs sur les oreilles. J'aimerai pouvoir dire que j'ai un plan pour la suite, mais c'est faux. Ce soir mon esprit est englué dans des pensées si sombres, que je préfère augmenter le son de la musique plutôt que de m'écouter penser.

La sonnerie de mon téléphone me réveille en sursaut. Dans la confusion je décroche bien que ce soit un numéro inconnu. Quand mon esprit comprend qu'il s'agit du médecin légiste, mon corps se crispe d'un coup en attendant la suite.

- Nous ne pouvons pas vous communiquer les résultats de l'autopsie, mais le corps de votre mère est transféré au sein du service funéraire.

- Comment ça vous ne pouvez rien me dire ? C'est une blague ? m'énervé-je.

- Calmez-vous madame, le compte rendu a été remis à la justice, vous pouvez faire une demande pour consulter le dossier. Bon courage, au revoir.

La tonalité ne devient qu'un bruit sourd, pourtant il me faut plusieurs secondes avant de raccrocher. L'idée d'enfin revoir le visage de ma mère me submerge tellement qu'il m'est impossible de retenir mes larmes. Mon cœur se serre lorsque la réalité me rattrape, m'indiquant que cette parenthèse ne sera qu'éphémère. En m'extirpant du lit, mon corps prend le dessus sur mon esprit, exécutant les actions par automatisme. Une nouvelle fois, mon reflet me percute. Je suis perdue...

Le trajet jusqu'au funérarium est rapide, me débattant sans relâche contre le monstre d'angoisse qui m'envahit à l'idée de la revoir. Comment je peux avoir aussi peur, alors qu'il n'y a que son visage qui peut m'apaiser ? Comment je peux accepter ce qui me paraît inconcevable ? Ces questions n'ont aucune réponse et elles prennent une dimension un peu plus réelle lorsque je franchis le seuil de la porte du funérarium.

Sans finOù les histoires vivent. Découvrez maintenant