Je n'avais pas l'habitude de me réveiller dans des draps de soie. Et, pour peu qu'on se penche vraiment sur mes habitudes, j'étais encore moins accoutumée au fait de me lever dans l'une des plus prestigieuses suites du château du roi Ankri de Stronstall, avec une magnifique vue sur la cité dvargen, construite tête en bas dans une ancienne chambre magmatique. Quand, un peu émerveillée et perturbée, j'avais posé la question, on m'avait expliqué que cela avait paru plus simple, à l'époque, de construire les bâtiments en partant du plafond. Je ne voyais toujours pas en quoi il était naturel de construire ainsi, mais après tout, je ne pouvais pas vraiment contester le génie du choix puisque, contrairement à moi, les dvergr étaient des bâtisseurs-nés.
Perchée à la fenêtre, enveloppée dans le drap que j'avais traîné derrière moi en sortant du lit, j'admirai en silence la ville qui se réveillait lentement. Les dvergar étaient, pour peu qu'on leur en laisse l'occasion, de véritables marmottes. Ils festoyaient jusqu'à des heures improbables, puis se réveillaient en milieu de matinée, et leur « petit-déjeuner » faisait souvent office de repas de midi. Plus d'une fois, j'avais vu Ankri, les yeux bouffis de sommeil, encore un peu saoul de la veille, somnoler devant un sanglier rôti ou une carcasse de rapace braisé. Contrairement à moi, qui étais souvent debout à l'aube – enfin, ce qui faisait office d'aube dans la caverne, soit un vague rougeoiement et quelques lumières allumées. Je ne comprenais toujours pas comment ils faisaient, mais en tout cas, je ne pouvais pas me plaindre. La vie ici était agréable.
Pour une fois, les locaux semblaient se lever un peu plus tôt. Il y avait plus de lumières que d'habitude allumées aux grandes fenêtres, quelques navettes circulaient déjà entre les tours qui piquaient vers le sol. Les ronronnements des moteurs, pourtant amplifiés par l'acoustique de l'immense grotte, ne parvenaient pas à traverser l'épais verre. La pièce dans laquelle j'étais était silencieuse, à l'exception de deux respirations profondes. Celle de Kalyan, qui dormait toujours dans le grand lit, et celle de la dvergr, qui avait essayé d'être la plus discrète possible en entrant quelques minutes auparavant.
Je me rappelais qu'il m'avait dit, quelques semaines plus tôt, que tout serait plus facile si j'apprenais à maîtriser cette nouvelle faculté que je possédais. Mais, à l'époque, je ne m'étais pas rendue compte à quel point il avait raison. Devant deux Thor, dont un Hamershot, les portes des plus inaccessibles palais s'ouvraient en grand. Seigneurs et rois s'inclinaient presque devant les enfants du dieu de l'orage, seulement retenus par l'estime qu'ils avaient d'eux-mêmes. Et par leur arrogance, mais ça c'était un inévitable problème.
Le simple fait d'avoir les yeux bleu électrique rendait tout beaucoup plus accessible. D'autant plus que Kalyan portait avec lui quelque chose de plus important encore que son sang de Hamershot ou ses yeux de fils de Thor. Il amenait avec lui le respect, extrêmement prisé, qu'il avait gagné auprès du peuple dvergar. Un respect presque impossible à acquérir, et encore plus difficile à préserver. Pourtant, Ankri l'avait accueilli d'une accolade fraternelle et d'un grand sourire. Je me doutais qu'il devait y avoir un exploit parfaitement héroïque derrière ce genre de respect, mais je n'avais jamais vraiment eu l'occasion d'aborder la question avec le concerné.
Cette double sécurité m'avait évité bien des ennuis. En principe, si j'avais voulu me frayer un chemin jusqu'au cœur de Stronstall, j'aurais dû passer les barrières des entrées dérobées sous la forme d'une souris, lutter chaque instant pour dissimuler mon identité et ma nature, rester toujours aux aguets. Là, avec simplement des iris naturellement bleus et non turquoises, les grilles s'étaient ouvertes et les dvergar s'étaient inclinés sur mon passage. C'était d'une simplicité effarante.
Mais, même après plusieurs semaines ici, je n'arrivais pas totalement à me défaire de la sensation que je n'étais pas à ma place. Je n'étais pas de ceux qui se promenaient à la lumière. J'étais un assassin, je ne restais jamais sur place plus de trois jours, je ne gardais la même apparence trop longtemps. J'étais censée être invisible, pas exposée sous le feu des projecteurs.
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Le Cycle du Serpent [III] : L'Hiver des Maisons
FantasyJe m'appelle Lilith. Il y a quelques temps encore, j'étais une Élite de la Confrérie de Loki, une tueuse fantôme au service de sa famille. Mais cette existence anonyme s'est effondrée. Aujourd'hui, j'erre dans les Neuf Mondes. Dotée de nouveaux pouv...