Le dvergr en charge du coffre le retira du présentoir, le maintenant fermement serré contre lui sans se douter qu'il était déjà vide, puis s'approcha du souverain, et une pierre tomba dans mon estomac. Esquivant souplement les deux autres gardes, je me faufilai derrière lui, le contournai pour me placer entre Ankri et le coffre. Un silence pesant régnait. S'il décidait de le rouvrir, de vouloir prendre la pierre dans ses mains, j'allais mal finir.
Mais, à mon grand soulagement, il se contenta de presser l'entaille qu'il s'était fait précédemment, et de poser ses doigts sanglants sur le verrou du coffre, qui cliqueta audiblement.
— Ramenez-la.
Le dvergr s'inclina, les autres l'encadrèrent, me percutant presque au passage. Je les esquivai d'une souple torsion du buste, me glissai dans leur sillage lorsqu'ils prirent la direction des souterrains en calant le rythme de mes pas sur le dernier du groupe, et bifurquai à la première intersection, le poing toujours fermement serré sur le caillou qui irradiait d'une puissance à peine contenable.
Lorsque les nains s'éloignèrent suffisamment, je me mis à courir, veillant à garder mon illusion et mon flux de Thor à flot, bataillant avec ma conscience pour ne pas me laisser distraire par la morsure glacée de la clef sur ma paume. Sa puissance dans ma peau était effarante, un froid glacial qui engourdissait mes doigts comme s'ils étaient plongés dans un bac de glace carbonique. J'avais mal juste en la touchant, sans même parler de la manipuler. Était-ce le vestige de la période où elle avait été détenue par Skadi, ou était-ce une propriété de l'artefact lui-même que d'être si froid ? Je ne pris pas le temps de m'attarder sur la question, m'éloignant jusqu'à sortir des cavernes où Arshina avait été organisé.
Je finis par m'arrêter au bord du tunnel qui débouchait sur la ville, m'appuyai contre le mur pour reprendre mon souffle, contemplai l'artefact un moment avant de me décider à le cacher aussi vite que possible. La petite pierre disparut dans la sacoche, et sa puissance s'atténua immédiatement, devenant un bourdonnement magique encore perceptible, mais moins flagrant, autour de moi.
— Oh, une voleuse... lança une voix féminine sarcastique à ma gauche.
Je me figeai, tournai lentement la tête vers la silhouette qui venait de se manifester de l'autre côté du couloir. La lumière de la caverne ne pénétrait pas aussi loin dans les ténèbres du tunnel, m'empêchait de distinguer clairement ses traits, mais je percevais son aura, que je n'avais pas ressentie jusque là à cause d'énergie de la clef d'ambre. Je fronçai le nez, glissai la sacoche sous mes vêtements et entrouvris légèrement les mains, laissant l'électricité affleurer, vibrante mais invisible. L'autre se contenta d'un rire rauque et lança :
— On m'avait dit que tu ressembles à ton père, mais je te trouve plus combative que lui. Et davantage prête à prendre des risques inconsidérés. C'est très dangereux, ce que tu as fait là.
— Cette phrase résume l'essentiel de mon existence, narguai-je en retour, essayant de deviner à qui je faisais face.
En fonction de sa puissance, je pouvais déjà déterminer que j'étais face à une divinité, peut-être même une divinité majeure. Ce n'était pas particulièrement rassurant, d'autant que d'aussi loin, je n'arrivais pas à discerner la couleur de ses yeux. Elle devait porter un cache sur les yeux qui camouflait leur brillance.
Je reculai, un pas puis un autre, tout doucement, faisant le moins de bruit possible. Je ne connaissais pas Stronstall sur le bout des doigts, malgré le temps que j'avais déjà pu y passer, mais j'avais déjà une bonne idée de la configuration de la ville.
— Tu sais que je peux sentir tes pulsations magiques à des kilomètres à la ronde ? nargua-t-elle. Et je ne vais même pas parler des radiations de ces cailloux. Ça m'étonne que personne d'autre ne l'ait senti, d'ailleurs, mais ces dvergar sont aussi sensibles que les roches au-dessus de leurs têtes.
Je reculai encore, cherchant à me réfugier dans les ténèbres. Une sourde appréhension tambourinait dans ma poitrine, un battement nerveux, celui d'une poursuite qui s'annonçait. Je la reconnaissais. Je savais que j'étais acculée, qu'il ne fallait d'un rien, un cri, pour que la silhouette en face de moi me mette les gardes aux trousses.
D'une main anxieuse, j'évaluai l'énergie des cailloux dont elle me parlait, et je grimaçai en constatant qu'elle avait raison. Dans la sacoche qui servait à les contenir, ils émettaient encore trop fort. J'avais été négligente. Je me fustigeai en silence, évaluant mes options, essayant de ne pas perdre le fil ou de prendre une décision trop hâtive.
— Qu'est-ce que vous voulez ? L'artefact ?
— Oh, non, je me moque bien de ce petit caillou. Je suis juste curieuse de voir si j'arrive à coincer l'une des voleuses les plus téméraires que j'aie connues... Et amusée de voir que certains dvergar n'ont jamais appris de leurs erreurs malgré les siècles.
Coincer.
C'était donc un défi, comme je l'avais pressenti.
— Et si je me fais coincer ? relevai-je.
Je devinai son sourire dans le ton de sa voix, chargée d'une insidieuse provocation.
— Je suppose qu'il y a des conséquences à voler le joyau d'Ankri. La prunelle de ses yeux, comme il dit parfois. Surtout au nez et à la barbe de tous.
C'était donc la course ou la mort. Je pris en compte le fait que cette déesse, qui qu'elle soit, devait connaître elle aussi Stronstall. Mieux que moi, même. Je n'avais pas le droit d'estimer que j'avais un avantage sur le terrain. En fait, c'était comme si j'étais en plein territoire ennemi, et je devais rejoindre un refuge. Sauf que je ne savais même pas où était mon refuge. Ma suite ? L'atelier de Veiri ? Le dvergr n'y était pas, je l'avais entr'aperçu dans les rangs des spectateurs venus admirer le joyau.
L'idée qu'il soit venu essayer de me voir le cambrioler me fit sourire.
À force de reculer, j'avais quasiment atteint le bout du tunnel lorsque je pris ma décision, fondée sur toutes les variables que j'avais. Je pris une longue inspiration, essayai de calmer mon souffle, cherchai mes appuis.
Et je détalai.
| † | † |
VOUS LISEZ
Le Cycle du Serpent [III] : L'Hiver des Maisons
FantasyJe m'appelle Lilith. Il y a quelques temps encore, j'étais une Élite de la Confrérie de Loki, une tueuse fantôme au service de sa famille. Mais cette existence anonyme s'est effondrée. Aujourd'hui, j'erre dans les Neuf Mondes. Dotée de nouveaux pouv...