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Durant quelques secondes, il ne répondit rien, se contentant de me dévisager et de me jauger de la tête aux pieds, et sa rage sembla graduellement décroître alors qu'il encaissait les chocs successifs. Lorsqu'il se redressa, il semblait soudain bien plus calme, bien plus disposé à collaborer. Encore une fois, le fait d'être une Thor – au moins partiellement – m'offrait des avantages que je n'aurais jamais escompté avoir.

— Je suppose que... grommela-t-il de mauvaise grâce, si c'est la volonté du grand Æsir lui-même...

— Je pense qu'il n'avait pas prévu que j'exerce du chantage sur un artisan émérite comme vous, admis-je avec un bref rire, mais il m'a donné lui-même les moyens d'appliquer des méthodes moins conventionnelles. Et je sais que vous n'appréciez pas un contrat aussi restrictif que celui-ci, mais j'essaierai au mieux de ne pas impacter votre travail dans cette ville. J'aurai juste besoin de quelques... informations, le temps de mon séjour ici.

Le souvenir d'Arshina me revint en tête, et je me permis un bref rictus.

— Mais avant même cela, Maître Veiri, souris-je en simulant une salutation moqueuse, je vous passe ma première commande. J'en aurai besoin dès que possible. Et, évidemment, elle requiert le plus grand des secrets.

— Bien sûr, princesse de foudre, grinça-t-il avec une intonation moqueuse. Surprenez-moi. Que puis-je donc faire pour vous ?

— Répéter l'enchantement des Järngreipr. C'est Thor qui me l'a recommandé lorsqu'il a fait de moi une sang-mêlée.

La mâchoire du nain se décrocha, et je fus stupéfaite qu'elle descende aussi bas. Je les avais pourtant vus ingurgiter des masses informes de nourriture au banquet, mais je m'étonnais toujours autant qu'ils soient capable d'ouvrir sur une telle hauteur. Il accusa le coup avec une violence que je n'aurais jamais imaginée, finit par s'ébrouer avec un frisson, une nouvelle flamme dans le regard. Sa haine était toujours là, sa rage de s'être fait piéger avait été ternie par la défaite, mais l'éclat du défi était comme un feu-follet dans sa prunelle couleur terre.

— Mais vous auriez pu commencer par là, espèce de sauvage ! Vous m'auriez acquis à votre cause sans même avoir à vous battre ! C'est le rêve de tout artisan que de refaire une pièce de maître !

Il recula, reprit la lame que je lui offrais, poignée en avant, et il l'utilisa comme miroir pour observer son visage défiguré.

— Mmhm... Je suppose qu'il faudra que je trouve une excuse pour expliquer ce petit... incident ?

— Et une bonne excuse même, insistai-je.

— Ça passera dans un accident de travail.

Ça existe ici aussi, ça ? relevai-je, surprise. Au moins, ça ne me dépaysait pas de Midgard.

— Je vous laisserai vous débrouiller pour être convaincant, finis-je par éluder.

— Bien sûr. Par contre, il y aura quelques conditions pour l'enchantement des Järngreipr.

Je lui adressai une œillade sévère, et il leva les mains vers le plafond en signe d'innocence.

— Promis, ce ne sont pas des contraintes que je vous inflige par simple mauvaise volonté, elles sont réellement nécessaires.

— Dites-moi, relevai-je, curieuse.

— Vous ne direz jamais qui vous les a forgés.

Je n'eus pas le temps de cacher ma surprise, elle transparut trop vite. Avais-je sur-interprété ? N'était-ce pas l'orgueil et la reconnaissance qui le guidaient ? Ou y avait-il autre chose, un désir plus profond, une blessure cachée ?

Le Cycle du Serpent [III] : L'Hiver des MaisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant