Elle me talonnait de près.
Elle n'avait pas ma vitesse, mais elle avait mon endurance, et une meilleure connaissance du terrain dans lequel nous zigzaguions comme des forcenées depuis une dizaine de minutes. Heureusement, la quasi-totalité de la population de Stronstall était occupée à participer au festival d'Arshina, et les quelques rares personnes qui nous virent passer étaient trop préoccupées par l'organisation du festival, pour lequel la ville entière s'était mise en pause. Et, par précaution, je m'étais métamorphosée avant le cambriolage.
Je pris appui sur un balcon, me propulsai en avant fis un vol plané d'une bonne seconde et demi – suffisamment pour que mon cerveau enregistre la sensation de chute libre et que mon estomac commence à remonter vers ma gorge – puis j'atterris en roulé-boulé sur le chemin juste en-dessous, que le balcon surplombait. Je jaugeai un instant l'intersection qui s'offrait à moi quelques mètres plus loin, filai à gauche, vers les hauteurs. C'était risqué de redescendre vers les quartiers nobles.
J'avais entraîné ma poursuivante dans la direction des bas-fonds de la ville – enfin, les hauts-fonds au vu de la structure socio-géographique de Stronstall – ce qui rendait la course en pente ardue. Je n'avais pas osé me retourner pour essayer de deviner qui elle était, trop occupée à ne pas perdre de temps et à essayer de mettre le maximum de distance entre elle – ses pouvoirs surtout – et moi. Je profitais de tous les angles de rue pour rester à couvert le plus possible au cas où un jet d'énergie fuserait, mais elle semblait surtout vouloir profiter d'une belle course-poursuite sans trop attirer l'attention. Cela devait être un jeu pour elle, le premier depuis une éternité au vu du plaisir qu'elle y prenait. Je ne comprenais pas vraiment le concept, mais je traçais droit devant moi, consciente que si je m'arrêtais, jeu ou non, je finirais décapitée. Autant pour elle, c'était un divertissement, autant pour Ankri, cela le serait nettement moins quand il verrait que j'étais en possession de son artefact.
D'autant plus que, comme Levi me l'avait signalé, je ne pouvais pas simplement faire disparaître l'artefact dans mon inventaire magique. La sacoche atténuait considérablement son rayonnement, mais pas assez pour le rendre imperceptible aux perceptions trop aigues d'une déesse qui ressentait les flux avec bien plus de précision que moi.
Heureusement, l'un des rares avantages que j'avais était que, contrairement à leur intérieur, l'extérieur des bâtiments et des cavernes n'était pas bardé de caméras et de micros. Il y en avait quelques uns à certains endroits stratégiques que j'évitais soigneusement dans ma fuite. Personne ne savait que nous étions là, et je m'appliquais à rester loin de toutes les grandes artères de circulation, où les regards seraient plus nombreux et risqueraient davantage de nous suivre et de se souvenir de nous.
Tout en courant, j'essayais de trouver une solution avant de m'épuiser. Je pouvais tracer encore un moment à ce rythme, mais le terrain accidenté et les obstacles m'épuisaient plus rapidement qu'une simple course-poursuite à Midgard. D'autant que je n'avais pas de refuge ici, pas d'endroit où me cacher d'elle. Je ne pouvais que la distancer ou l'affronter. Ou me faire coincer. Elle percevait ma trace magique, elle me traquerait à la magie, comme une Frigg, d'autant que j'étais la seule Loki du coin avec des pouvoirs actifs.
Soudain, une idée flasha dans mon esprit, et je souris. La semer en faisant disparaître ma trace. Si cela marchait, c'était du génie. Mais il fallait que je le fasse intelligemment. Il fallait que j'arrive à trouver un moyen de creuser la distance qui me séparait de ma poursuivante. Un obstacle qu'elle ne pouvait franchir.
Je détestai aussitôt les conséquences de la réflexion qui s'ensuivit, mais je pris le temps d'analyser l'idée. C'était la seule solution viable que j'avais. Si je me ratais, je m'aplatissais comme une crêpe. Si je ne gérais pas assez rapidement mon flux magique, je me faisais incinérer par les lasers anti-Loki dont Veiri m'avait parlé.
C'était certainement ma meilleure chance de la semer.
Une touche d'imprévu dans chaque plan. Les mots d'Ekrest, qui m'accompagnaient toujours dans ce genre de moment. J'accélérai, perfectionnai le plan dans ma tête en me souvenant des quelques petites améliorations que Veiri avait apportées à mes bracelets. Ce n'étaient pas seulement des régulateurs de flux, ils pouvaient le couper totalement... et ce faisant, faire disparaître ma trace magique. Des quelques expériences que j'avais pu faire avec les détecteurs du dvergr, une fois que je coupais mon flux, ils ne me localisaient plus, même si j'étais sous leur nez. Ma trace s'évanouissait dans la nature, faisant de ces bracelets le plus parfait des camouflages. Si je gérais bien mon timing, les lasers calibrés pour suivre une trace de Loki ne me retrouveraient jamais.
Au loin, la balustrade la plus basse et la plus éloignée du secteur se profila. Je gardai mon rythme, perçus à la manière dont le rythme de l'écho changeait que ma poursuivante ralentissait imperceptiblement. Je calculai mes foulées, serrai la main sur la sacoche que j'avais tenue tout le long de la course. Il était temps de faire une folie.
Au bord du vide, je lançai la sacoche droit devant moi, aussi loin que possible, posai mon pied sur la balustrade de pierre, pris une impulsion puissante. Le salto avant me permit, très brièvement, d'entrevoir une masse de cheveux d'un blond doré flottant au vent de la course de ma poursuivante, le choc sur son visage alors qu'elle réalisait que je sautais, puis le vide m'enveloppa. Je cherchai du regard la sacoche qui tombait quelques mètres plus loin. Je ramenai mes bras tendus devant moi, infléchis ma course vers le lac pour tomber plus vite en gardant mon regard rivé sur ma cible, glissai mes doigts sur mes bracelets pour réduire ma puissance à un minimum syndical.
À une dizaine de mètres de l'eau, je me métamorphosai en faucon, déployai mes ailes, et rattrapai la sacoche en chute libre avant de plonger vers le bord du lac tout proche. Les alarmes de la cité rugirent, déchirant mes oreilles trop sensibles. Je fis un looping au ras du sol en lâchant la sacoche, repris forme humaine, la rattrapai à nouveau au vol. Puis je fis crépiter une petite étincelle pour retrouver mon regard de Thor, coupai totalement mon flux magique via mes bracelets, et détalai.
Deux secondes plus tard, un laser d'une puissance inouie faisait voler la roche en éclats là où je m'étais tenue un instant plus tôt. Une seconde volée claqua contre le mur juste à côté, et l'onde de choc me fit vaciller une seconde dans ma course. Puis plus rien.
Je m'enfonçai dans les ruelles avoisinantes, ralentis le pas pour marcher comme si rien ne s'était passé, souriant en silence. Il n'y avait plus personne derrière moi, à part un cratère fumant là et les hurlements des alarmes. C'était un pari risqué, mais ça avait marché.
Les lasers anti-Loki, comme Veiri me l'avait expliqué, étaient configurés pour suivre le Loki intrus à la trace de son flux magique. Mais les bracelets qu'il m'avait enchantés coupaient totalement mon flux magique, y compris ma trace résiduelle, je l'avais testé avec ses détecteurs.
Quelques dizaines de pas plus loin, je m'appuyai contre le mur pour souffler, vérifiai d'un regard s'il y avait des caméras aux alentours. J'avais passé la semaine précédent le festival d'Arshina à me promener dans tous les coins de la ville, je savais qu'il n'y en avait que peu en extérieur. Mais il valait mieux que je n'apparaisse pas dessus pour éviter les questions, surtout dans le secteur de l'incident. Déjà, j'entendais les premiers vrombissements des navettes des forces de l'ordre locales qui résonnaient sous la voûte de la chambre magmatique, ajoutant une basse profonde aux sirènes stridentes des alarmes. Elles ne tarderaient pas à débouler sur les lieux dont je m'éloignais.
Une main posée sur mon bracelet gauche, je remontai doucement mon flux pour ne pas me faire surprendre sans pouvoirs et repris ma route, l'œil vigilant mais le sourire toujours aux lèvres.
Parfois, les cambriolages n'avaient pas besoin d'échouer ou de réussir dans d'immenses explosions. Souvent, la marque d'un cambriolage parfait était qu'il n'y avait aucune trace dudit cambriolage, et que les propriétaires ne s'en rendraient compte que des jours, voire même des années plus tard. Je n'en étais pas à ce stade-là, les alarmes tout autour en témoignaient, mais j'étais loin d'être le suspect principal. C'était frustrant, parce que je n'avais personne, pas même mon mentor, à qui m'en vanter, mais d'un autre côté cela valait mieux. En parler à Kalyan équivalait à l'incriminer également, en parler à Veiri revenait à lui laisser des informations qu'il valait mieux qu'il ne possède pas.
Que Levi sache suffirait, songeai-je avec un sourire.
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Le Cycle du Serpent [III] : L'Hiver des Maisons
FantasiaJe m'appelle Lilith. Il y a quelques temps encore, j'étais une Élite de la Confrérie de Loki, une tueuse fantôme au service de sa famille. Mais cette existence anonyme s'est effondrée. Aujourd'hui, j'erre dans les Neuf Mondes. Dotée de nouveaux pouv...