Chapitre 4

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Le Docteur Galilei quitta mon bureau, laissant flotter derrière elle une tension palpable. Mes pensées dérivèrent vers le labyrinthe des portes que j'avais engendrées, une création dont la complexité avait dépassé mes intentions initiales. Les écrans diffusaient des données abstraites, mais mon esprit était absorbé par une réalité que j'avais sous-estimée. Et même s’il m’était difficile de l’admettre je n’ai plus aucune prise sur les évènements.

Je me dirigeais mécaniquement vers la vieille cafetière, remplissant une tasse ébréchée. Mes doigts effleurèrent la porcelaine rugueuse, me ramenant à une réalité que je préférais souvent ignorer. Les portes, conçues pour être le pont vers le monde qui a enlevé mon fils, avaient provoquées une distorsion que je n'avais pas anticipée. Une distorsion plongeant notre réalité dans une sorte de purgatoire, un état instable entre la réalité et l'oubli. Parfois, j’ai l’impression que j’ai ancré mon bureau dans le passé, plutôt dans un passé, et il ne m’appartient même pas. 

Mon regard se posa sur l'endroit où aurait dû trôner une photo, mais aucun vestige matériel de mon fils n'existait. Les portes étaient nées de ma quête désespérée pour retrouver un passé que le monde semblait avoir effacé. Un passé noyé dans les méandres de la mémoire collective, un phénomène que seul je percevais. Seule ma plus proche collaboratrice avait appris l’existence d’Arthur, et elle me pensait complètement fou mais elle avait la décence de ne pas me faire part de cet opinion, alors même qu’elle l’avait déjà vu jouer dans mon bureau.

Chaque mission, chaque exploration était une quête personnelle pour rassembler les fragments du passé, disséminés dans des mondes parallèles. Je ne voulais pas seulement essayer de le ramener, je voulais au moins ramener son existence dans notre monde. Il existe, et il me manque, mais personne n’en a conscience, pour eux c’est comme s’il n’avait jamais été là. Aucun des explorateurs ou le personnel de mon laboratoire ne sait que je cherche à retrouver quelque chose que le monde avait délibérément supprimé. Malheureusement, pour l’heure je n’ai rien trouvé. Aucune trace de lui dans aucune de ces portes.

Je me levai, abandonnant momentanément l'écran lumineux. Mes pas me dirigèrent vers la porte, la toute première porte. Je la scrutais avec toujours autant de fascination mêlée à un certain ressentiment. Elle se dressait là, une énigme revêtue de bois, suscitant en moi une curiosité insatiable et, en même temps, un dégoût profond. Le bois, symbole de stabilité, s'opposait à l'imprévisibilité indomptable qui émanait de chaque centimètre carré de cette porte maudite. Elle était bien plus petite, seul un enfant aurait pu passer à travers, mais c’était mon fils qui l’a traversée. Elle se dressait là, énigmatique, cachée derrière mon fauteuil et mon désordre habituel, là où j’aurais dû retrouver Arthur. Elle avait une structure d'apparence simple mais porteuse de mystères infinis. Son bois était lisse, et en son centre, un épais nuage blanc me privant d’imaginer ce qu’elle pourrait dissimuler. Malgré le danger qu’elle représente, je n’ai jamais pu me résoudre à la sceller. Elle est ma seule preuve tangible de son existence, et un jour peut-être qu’il parviendra à faire le chemin en sens inverse.

J’ai pu l’étudier et essayer de comprendre son mécanisme afin d’en faire une réplique plus grande et le retrouver. Mais ma compréhension des concepts théoriques qui régissent la pluralité des mondes, était plus limitée que mes espérances. Personne ne connaît l’existence de cette porte, pas même Galilei. Je ne sais pas qui l’a conçue ni dans quel but, ni si c’était volontaire ou comme moi, une erreur. Je suis incapble de comprendre, alors que je voudrais tant. 

Lors de ma première exploration, la porte m'a transporté vers un monde presque similaire au nôtre, si similaire que s'en était oppressant. Des paysages d’une ville morne, sombre, vide d’âme, et pourtant si remplie. Il n’y avait ni claquement de pas sur les pavés, ni de bruit de conversation. Seulement un écho de leur voix indistinctes, des murmures dans le vent glacial qui me parvenaient de toutes les directions. Ces êtres étaient tels des fantômes, silencieux et froids. Aucun de ces mondes n’est identique, et certains sont même agréables, mais ils sont toujours sans Arthur. A chaque fois qu’une équipe est envoyée, je sais que c’est un monde de moins à parcourir dans cette course contre le temps qui passe et l’oubli irréversible. Même si on trouve notre véritable monde, je ne partirai pas sans lui, qu’importe les conséquences. Il va bientôt avoir 12 ans et déjà 5 longues années que je suis sans nouvelle.

Je continuerais à le chercher au-delà des limites de la réalité et de la raison, me laissant guider par des souvenirs qui semblent s'échapper. J'ai peur d’oublier, comme tous les autres, et je ne sais pas ce qui garde mes souvenirs intacts. Mais j’ai aussi peur de ne pas oublier et qu’Arthur ne devienne qu’un exemple de ma folie. Je veux qu’il existe.

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