Chapitre 13

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Nous nous sommes retrouvés, avec Sophia et Nina, dans l'ombre des rues, loin des regards curieux. La lumière, doucement voilée par les rideaux tirés, peignait des arabesques d'ombres et de lumières, insufflant à la pièce une ambiance feutrée. Les contours des meubles émergeaient de l'obscurité, comme des souvenirs de notre normalité perdue dans ce monde de mystères. Un murmure étouffé de la ville en mouvement parvenait à nos oreilles, mêlé aux échos de nos pensées.

Assis dans mon salon, nous avons partagé nos découvertes et nos doutes surtout, à l'abri des regards indiscrets, mais surtout des caméras et micros du laboratoire de Maxwell. Les rues animées de la ville étaient là, en contre-bas, mais dans cette enclave, nous étions seuls avec nos préoccupations.

"Alors, qu'avons-nous réellement découvert ?" ai-je demandé, scrutant les expressions sur les visages faiblement éclairés.

La tension dans la pièce augmentait à mesure que les voix anonymes de la ville se mêlaient à nos échos de pensées. Sophia, installée sur le canapé à côté de moi, jeta un regard en coin à travers la fenêtre entrouverte, laissant filtrer la lumière de la ville. Les ombres dansaient sur son visage, accentuant l'expression de méfiance qui y régnait.

 "Maxwell nous cache des choses, sans aucun doute, et il en manipule d’autres. Il se prend pour un surhomme jouant avec les lois naturelles. On ne devrait même pas être surpris."

Le murmure de la vie urbaine s'infiltrait, comme une symphonie constante en arrière-plan. Les voix anonymes, les pas pressés, tout cela semblait appartenir à un monde différent, séparé par la mince barrière de l'intimité de la pièce.

"Que voulez-vous dire ?" s'inquiéta Nina, tentant de démêler la complexité croissante de la situation.

Sophia prit une profonde inspiration, son souffle formant des volutes dans l'air calme de la pièce, trahissant une tension qu'elle ne pouvait dissimuler. "Dans son bureau, on a trouvé des documents nous laissant penser qu’il cherche à modifier les mémoires collectives pour y supprimer des événements, mais on ne sait pas ni pourquoi, ni comment.”

- “Vous voulez parler d’Arthur”, on pouvait sentir dans la voix de Nina une pointe de tristesse mélangée à de la surprise

- “Vous étiez au courant de ce qu’il faisait, et vous avez laissé couler ?” J’avais dû mal à contenir une colère qui commençait à bouillonner en moi

- “Ce n’est pas ce que vous croyez”, s’excusa Nina, “le Docteur Maxwell prétend avoir eu un fils qui devrait avoir aujourd’hui une dizaine d'années je crois, et qu’il a été effacé de nos mémoires, et administrativement aussi, c’est comme s’il n’avait jamais existé. Et il serait le seul à se souvenir de cet évènement. Il souhaite seulement le faire rejaillir dans nos esprits.”

- “Et les autres alors, d’après ces papiers des centaines de personnes ont été supprimées, pour celle-là aussi, il n’y est pour rien, arrêtez de l'idolatrer sans cesse, ce type ne contrôle plus rien. Il nous a tous envoyés dans un monde où le mot sécurité n’a aucune signification. Vous dites qu’il aurait eu un fils qui n’a jamais existé, lui faites-vous vraiment confiance à ce point ? Vous ne valez pas plus que lui”, Sophia crachait son venin au visage d’une Nina déconfite.

Je posai doucement ma main sur l'épaule de Sophia, tentant de calmer l’incandescence de son regard, la suppliant silencieusement de se rasseoir sans protester. Moi aussi j’étais en colère, mais il valait mieux collaborer avec Nina que s’en faire son ennemi. Mais cette dernière ne se laissa pas impressionner par le visage en feu de Sophia, ces brimades virulentes ou ses cheveux qui se dressaient sur sa tête.

- “Quels autres, de quoi parlez vous au juste ? Il y a seulement Arthur, n’est-ce pas ? Et il n’est pas responsable, croyez-moi. Si vous voulez mon avis, il l’a inventé. Vous voyez bien comment il est, toujours seul dans son bureau, tout le monde le déteste et personne ne lui dit en face par crainte. Je ne crois pas qu’il ait un seul ami, ni une personne qui compte pour lui, et réciproquement. Alors, avoir un fils, c’est se raccrocher à quelque chose qui aurait du sens. Il ferait tout pour lui, et même si je sais que cet enfant n’existe pas, je le laisserais faire. Mais c’est vrai que ces derniers temps, ça vire à l’obsession. Je crois qu’il a de plus en plus de mal à discerner l’imaginaire de la réalité, il faut dire que notre monde défie nos frontières du possible aussi, ça n’arrange rien.”

Elle se leva et alla se poster au bord de la fenêtre, regardant à travers les rideaux ce qui nous restait de réalité, et qui, bientôt, risquerait de disparaître. Tandis que j'avalais une madeleine au goût étrangement amer, probablement périmée, en même temps que toutes ces informations.

Un silence s’installa, nous n’avions pas vraiment envisagé le fait que Maxwell ne soit pas responsable, ni qu’il pourrait souffrir de son manque d’humanité. Nina n’avait pas non plus l’air d’être au courant des supposés autres disparitions, et pire, elle n’y croirait pas.

- “Il n’y a pas seulement Arthur”, dis-je en reprenant plus posément le fil de la discussion, “beaucoup d’explorateurs auraient aussi disparu, des équipes de trois avec seulement deux membres, admettez que c’est étrange.”

- “Vous répétez qu’il n’est pas aussi dangereux que nous le pensions, et qu’il fait ça pour son fils. Et même s’il existait, est-ce une excuse pour sacrifier d’autres personnes, vous savez sûrement mieux que quiconque qu’il n’a aucun scrupules. Si des gens doivent mourir pour qu’il arrive à ses fins, il le fera sans même se poser de question.” Sophia qui s’était calmée partageait mon point de vue. Bien que ses objectifs soient louables, ses actes n’en restaient pas moins immoraux.

Nina ne parlait plus, elle savait qu’il était loin d’être parfait mais jusqu’à supprimer l’existence d’autrui, son visage laissait clairement transparaître ses doutes.

- “Vous pensez qu’ils ont vraiment existé, tous ces gens ?” Nina semblait hésiter, “et que Maxwell s’en souviendrait vraiment, ce n’est pas logique, pourquoi lui”

- “Peut-être parce qu’il est l’investigateur du projet, par exemple”, répliqua Sophia

- “Ou parce qu’il pense se souvenir” la coupais-je “on ne peut pas ignorer cette possibilité, il peut très bien avoir remarqué ces incohérences, comprendre la présence d’un oubli collectif et dérailler en se créant de faux souvenirs”, cette idée-là nous permettait surtout de ne pas trop brusquer Nina.

Les rues agitées à l'extérieur, semblaient ignorer le mutisme dans lequel nous plongions plus profondément à chaque instant.

Si nous voulions vraiment collaborer ensemble, il fallait que nous lui transmettions toutes nos informations. J’ai donc évoqué la présence d’une porte immobile, blanche mais fermée au cours de notre dernière. Nina parut surprise à cette évocation, après tout je ne lui ai toujours pas rendu mon rapport, mais je devais savoir ce que c’était, si c’était dangereux et l'œuvre de Maxwell, je me suis gardée de lui parler de celle se trouvant dans son bureau. Après ça, elle finirait probablement par le détester et Maxwell ne lui ferait plus confiance.

Nina prit une profonde inspiration avant de nous expliquer calmement : “Non, vous avez raison, les portes blanches sont celles qui sont ouvertes. Lorsque vous fermez une porte, vous brisez une fiole d’un composé chimique, et par une simple réaction, le gaz pénètre dans le mécanisme de la porte et le verrouille définitivement. La couleur est seulement un moyen de voir rapidement les portes qui ont déjà été visitées et fermées. Finalement une porte pourrait être fermée et blanche, si la fiole jetée ne contenait pas cet indicateur coloré. Mais le mouvement des portes est indépendant du dispositif de passage, alors même fermée, elle devrait être en mouvement.”

Ce que nous ne pouvons lui dire, c’est que Maxwell était au courant de ces anomalies, et s’il n’en était pas le créateur, il en était au moins le gardien.

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