Chapitre 14

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Assis dans l'antre sombre de mon bureau, j'observais l'écran illuminé devant moi, indifférent aux rapports des explorations qui défilaient. Les rideaux lourds, hermétiquement clos créaient une atmosphère étouffante, tandis que le cliquetis incessant de ma comtoise était un rappel persistant de l'endroit où je me trouvais

Dans cette semi-obscurité, mes pensées dérivèrent vers la 214. Leur attitude a changé, drastiquement. Leurs rapports étaient sans fin et fantasques, mais leur dernier était d’une concision effrayante. Mais ils ont vu une de ces portes et ces derniers temps, c’est de plus en plus fréquent pour toutes les équipes. Ils ne s’en souviennent pas ou n’en reviennent pas, mais le résultat est le même. Au total, près d’une dizaine de celles-ci sont découvertes chaque jour par les équipes d’exploration, alors qu’au début, seulement une tous les mois environ. Ces portes immobiles se contentent d'apparaître dans les mondes visités et pas dans le nôtre. Qui les a mises au point ? Je les ai assez étudiées pour savoir qu’elles ne sont pas d’origine naturelle. Je ne comprends pas la nature de telles créations pouvant agir sur les souvenirs. Une fois rentrés dans notre monde leurs souvenirs de la disparition de leur troisième membre s’est effacé, mais pas quand il ont juste vu la porte. Ce n’est donc pas la porte en elle-même qui provoque ces pertes de mémoire, mais plutôt l’aspiration et sous certaines conditions. Il a fallu qu’ils quittent cet environnement, ou plutôt qu’ils rejoignent leur monde d’origine pour oublier. Cela implique-t-il l'incapacité de se souvenir des changements dans son propre monde ?

La seule explication possible pour que je me souvienne de toutes les disparitions des personnes de ce monde : je n’en fais pas partie.

Cependant, mon attention était captivée par le complot en train de se tramer derrière mon dos. Le docteur Galilei pense réellement que je ne me suis pas rendu compte qu’elle avait volontairement coupé les caméras de la salle de conférence, ni qu’elle était partie en avance. Elle m’a rendu leur rapport ce matin, alors qu’ils n’avaient pas de réunion de programmée. Je sais qu’ils se sont vus. Mais la réalité est que je me fiche royalement de savoir ce qu’ils font, ou de ce qu’ils pensent savoir. Si ça leur sied de se fatiguer dans des recherches stupides au lieu de juste appliquer mes ordres, et bien, qu’ils continuent. Je n’ai que faire de leurs pauvres états d'âme. Ils doivent se plaindre que ça ne va pas assez vite et qu’on risque tous d’y passer dans peu de temps, mais continuez de leur perdre en complotant. Si vous faisiez ce que je vous demande, sans vos jérémiades, ni vos larmoyants rapports, on aurait peut-être déjà trouvé la solution à ce casse-tête. Incapables. 

Je dois quand même avouer que je suis surpris. Jamais je n’aurais imaginé que le docteur Galilei se joigne à eux, elle a toujours été une collaboratrice remarquable jusque-là.

"Elle s’imagine vraiment que je resterais aveugle à ses manigances ?" me répétais-je encore et encore en raturant avec énergie dans mon carnet. "Elle est tombée bien bas."

S’ils souhaitent rester ensemble, à trafiquer dans mon dos, tant mieux je vais pouvoir en tirer profit. En m'asseyant donc mon fauteuil, mon regard passa sur chacun de mes meubles, de mes livres, de mes recherches, ma machine à café, mon stylo sans encre sur le rebord de la fenêtre, ils étaient les témoins silencieux de mes machinations solitaires.

Grâce aux multiples explorations que j’ai supervisées, j’ai peu à peu pu élaborer une cartographie précise des portes immobiles. Celles-ci ne sont pas seulement figées dans le monde visité, mais surtout dans notre monde, leur coordonnées géographiques restent identiques. En fonction de la porte de voyage qu'ils traversent, les explorateurs croisent ces anomalies, leur position dans la ville dictant cette rencontre.

Plus incroyable encore, la stabilité de ces mondes semblent être régi par des portes jumelles. Lorsque des disparitions surviennent par ces portes fixes, de l'autre côté de la ville, par symétrie, des créatures sont recrachées. Tout n'est que question d'équilibre. Si l'une aspire l'existence, une autre doit pouvoir en libérer une. Pour l’heure, aucun être humain n’a pu mettre en pratique cette deuxième phase.

Je dois retrouver Arthur, je sais où il a disparu, alors je sais où je dois aller le trouver. Maintenant il ne me reste qu'à les maintenir à distance de cet endroit pendant quelques jours supplémentaires, pour franchir la porte inverse. J'ai veillé à ne pas envoyer d'explorateurs là où il y aurait des portes fixes par lesquelles ils pourraient entrer. Personne ne m'empêchera de ramener mon fils.

Un sourire ironique se dessina sur mes lèvres fatiguées, tandis qu'une idée fascinante s'insinua dans mon esprit. Mon plan se façonnait au rythme régulier des battements de ma pendule. Ils veulent comploter contre moi, bien, parfait, cependant ils devront le faire suivant mes conditions. 

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