Chapitre 6

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La porte, toujours aussi blanche et déconcertante, vomit notre unité, nous ramenant enfin chez nous. C’est étrange de se sentir en sécurité alors qu’à tout moment une créature pourrait se jeter sur nous pour nous dévorer.
Nous nous relevons péniblement, secoués par la transition brutale entre les réalités. Mes oreilles bourdonnent, et je cligne des yeux pour m'habituer à la nouvelle luminosité ambiante. Maxwell nous avait prévenus que nos missions seraient pleines de surprises, mais rien ne pouvait nous préparer à ces inconnus. 
A peine avons nous posé un orteil  au sol, que Nina nous informe que nous devons immédiatement nous rendre dans une autre porte, et que cela faisait déjà de longues minutes qu’elle essayait de nous contacter. Évidemment il n’y a pas de liaison possible entre les portes, nous laissant bien seuls à chaque mission. Mais ce n’est pas de la faute de Nina, et sur l’aspect communication, ce n’est pas celle de Maxwell non plus. Cependant sur le reste, je ne pourrais pas en dire autant.
Sophia, Alexandre et moi plongeons alors dans cette nouvelle porte. Le paysage qui s'étend devant nous est radicalement différent de celui que nous venons de quitter. Des collines verdoyantes s'étendent à perte de vue, baignées par une lumière douce. Alexandre reste silencieux, mais son regard dévoile une lueur d'inquiétude. Je crois qu’il ne s’est pas encore remis de son acte de bravoure. Sophia, quant à elle, se prépare déjà à tirer à vue à la moindre trace de menace potentielle.
Nina nous a expliqué que Maxwell voulait absolument qu’on explore cette porte-là en particulier. Aucune créature n’en était pourtant sortie, mais elle n’avait pas plus d'informations que nous. Il est étrange de suivre des ordres sans en comprendre le but réel. Nous ne sommes que des pions dans le jeu d’un savant fou, et notre seule option est d'avancer, sans savoir dans quelle direction.
Le chemin à travers les collines semblait interminable. Les murmures du vent dans les herbes hautes créent une mélodie apaisante, mais nos esprits restent tendus, si c’est une idée de Maxwell, il y a fort à parier qu’elle soit mauvaise. C'est alors qu'Alexandre, d'habitude si confiant, semble absorbé par quelque chose. Ses yeux s'écarquillent, et il fixe une porte, presque camouflée dans le paysage, que nous n'avions pas encore remarquée.
Cette porte ne devrait pas être là. D’habitude, il n’y a qu’une seule porte, celle par laquelle nous entrons. Que fait-elle là ? Est-ce pour cette raison que Maxwell nous a envoyé ici ? Comment pourrait-il le savoir puisque ce monde n’a pas encore été exploré ? Tant de questions sans réponse se bousculent dans ma tête, et puis je ne me suis pas complètement rétabli de la tentative de meurtre des arbres à mon encontre.
Pourtant cette porte est identique aux autres, le même nuage pâle au centre, les mêmes bordures de bois étranges, probablement  le même mécanisme. Et pourtant. Alors que nous l’observons en silence, je me sens aspiré, des bras invisibles m’entourent et me tirent, tel un aimant, cette porte m’attire. Elle nous agrippe tous les trois. Je ne peux pas résister, je ne touche même plus le sol. Puis elle me relâche. Et Sophia aussi. Sans vraiment comprendre pourquoi. Mais pas Alexandre. Son cri se mêle au bruit du vent. Il hurle. On voit ce nuage blanc l’entourer. Sophia tire sur la porte, une fois, puis deux, et vide complètement ses munitions. Mais il crie encore, cette brume ne le lâche pas, et elle l’aspire. Il traverse la porte sous nos yeux impuissants. La panique nous empare. Sophia et moi, pris au dépourvu, restons figés un instant. Puis, la réalité de la situation s'abat sur nous, et nous courons vers la porte, espérant le retrouver. J’essaie de franchir la porte mais je ne peux pas la traverser, pourtant elle n’est pas rose comme lorsqu’on ferme les autres portes. Où est Alexandre, comment a-t-il pu disparaître, juste comme ça. On ne peut pas entrer et même s’il n’est plus face à moi à cet instant, j’entends encore son hurlement qui me déchire le cœur. Il ne peut pas se volatiliser. C’est impossible, les portes ne peuvent pas se fermer toutes seules, c’est pour ça qu’on fait ces explorations. On va le retrouver, j’en suis certain.
Je peux quand même lire la tristesse et la confusion dans les yeux de Sophia reflétant mes propres émotions. On ne connaît Alexandre que depuis le début de nos explorations il y a presque un an déjà, mais c’est mon meilleur ami. C’est vrai que parfois, il a des réactions un peu enfantine mais on peut compter sur lui. Une déchirure béante se forme là où se trouvait notre trio uni. Sophia se mure dans le silence et regarde hébétée cette maudite porte, qui en plus de détruire physiquement notre monde, nous anéanti également.
Nous ne pouvons absolument rien faire ici, et j’ai l’impression de l’abandonner, mais nous ne pouvons pas ouvrir cette porte. Maxwell devrait le pouvoir, il les a assez étudiées pour en comprendre le fonctionnement. Remettre la vie d’Alexandre entre ces mains est la meilleure solution qui s’offre à nous, et il est probable qu’il s’en fiche.
Sans un mot, nous faisons demi-tour et rentrons, la mort dans l’âme, mais nous le ramènerons. Quelque part, derrière l’une de ces portes, se cachent les réponses aux mystères de ces mondes, mais la plus énigmatique reste celle du bureau de Maxwell, un sanctuaire de secrets que nous n'avons pas encore percé. Quoiqu’il m’en coûte, je le retrouverais sans jamais abandonner.  

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